Le procès
opposant l'écrivain Adama Siguiré à la Confédération générale du travail du
Burkina (CGT-B) a repris ce 26 mars. Il porte sur des publications de
l’écrivain concernant l'organisation syndicale ainsi que son Secrétaire général
Moussa Diallo. L'écrivain a, entre autres, affirmé que ces derniers ont reçu de
l'argent de l'impérialisme pour déstabiliser la Transition. Les avocats de la
partie civile ont fait leurs plaidoiries aujourd'hui. Ils réclament, entre autres,
le paiement de 10 millions de FCFA à chacun des plaignants. Le dossier est mis en délibéré
pour le 6 mai prochain.
Dans leurs
plaidoiries, les avocats de la partie
civile sont revenus sur les différentes publications de l’écrivain, objet
du procès.
Ces
publications constituent, disent-ils, de la diffamation “avec intention de
nuire”.
“Il a décidé
de mal faire pour faire mal. Il a inventé des faits avec intention de nuire. Au
regard de ces éléments, l'infraction de diffamation est constituée”, affirme Me
Olivier Yelkouni, avocat de la partie civile.
Il demande
donc au Tribunal de “punir M. Siguiré” conformément à la loi car, dit-il, Adama
Siguiré a passé le temps à diffamer la CGT-B et son Secrétaire général.
Il demande
également au Tribunal de condamner M. Siguiré à payer la somme de 10 millions
FCFA à chacune des “victimes” au titre des dommages et intérêts.
Et ce n'est
pas tout. Le prévenu devrait également payer, dit-il, au titre des frais
exposés et non compris dans les dépens, 2,5 millions de francs CFA.
“Le Burkina
est encore doux parce qu'on se réfère aux tribunaux pour résoudre les
différends entre citoyens. Il est possible que cela ne puisse plus être
possible un jour”, lance Me Séraphin Somé, également avocat de la partie
civile.
Selon lui,
au-delà des faits, c'est la personne de Siguiré qui est jugée. “Il faut
individualiser la peine tenant compte de la personnalité de Siguiré”,
préconise-t-il.
Il égraine
ici les fonctions de M. Siguiré. Il cumule, entre autres, les fonctions
d’écrivain professionnel, professeur de philosophie et soldat de la
communication de guerre.
“M. Siguiré
affirme être patriote, soldat de la communication. Il dit avoir une expertise
dans la guerre et donne des conseils. Il faut tenir compte de qu'il est dans
votre décision”, lance-t-il.
Et pour
soutenir ses propos, Me Somé lit des publications faites par Adama Siguiré sur
le réseau social Facebook. Ce dernier a soutenu, selon lui, que le gouvernement
devrait travailler à ne pas donner la parole aux ennemis en période de guerre.
“M. Siguiré a
affirmé que le gouvernement doit faire taire, par tous les moyens, toutes les
voix discordantes. (...) Vous avez affaire à un prévenu qui clame avoir une
mission messianique. Il fait l'apologie de l'extermination d'une partie des
Burkinabè”, a-t-il indiqué.
Il affirme
également que ce procès n'est pas dirigé contre la Transition. “Il n'a pas été
intenté contre Siguiré parce qu'il se réclame soldat de la communication ou
soutient le gouvernement. Mais parce qu'il a fait des publications
diffamatoires et injurieuses”, a-t-il déclaré.
Me Somé
conclut que Adama Siguiré est “un délinquant primaire très dangereux”.
Ce qui met le
prévenu hors de lui. Il veut s'exprimer mais la présidente du Tribunal lui
demande de patienter.
Des voix se
font entendre dans la salle. Le Tribunal demande du silence. Au même instant,
un membre du conseil du prévenu s'approche de lui. Visiblement, il tente de
faire comprendre à son client la conduite à tenir.
Mais Me Somé
insiste : “Adama Siguiré est un délinquant primaire très dangereux”
“Si vous ne
le condamnez pas, quel message vous donnez ? Le message serait qu'on peut
exterminer une partie des Burkinabè”, lance-t-il au Tribunal.
Le
terme extermination suscite la réaction de la présidente du tribunal. Elle lui
demande de retirer le mot qui, selon elle, constitue une interprétation des
propos de M. Siguiré qui a plutôt utilisé les termes “faire taire par tous les
moyens”.
Selon Me
Prosper Farama, ce procès a été à l'origine de “tensions terribles”.
“Si nous
voulons que ce pays évolue, il faut dire la vérité surtout devant la justice.
Pourquoi sommes-nous dans un pays où on jette l’anathème sur la justice ? Ce
n'est pas parce que Siguiré dit soutenir la Transition qu'il ne doit pas
répondre devant la justice. M. Siguiré veut déplacer le débat juridique vers un
terrain politique.
Quand vous
diffamez, mentez sur quelqu'un, qu'est-ce qui est politique dans cela?”
s'interroge-t-il.
Selon lui, si
Adama Siguiré est devant le Tribunal, c'est parce qu'il a diffamé la CGTB et
son Secrétaire général. Il a précédemment soutenu qu'il s'agissait d'une
communication de guerre. Ce qui ne passe pas chez la partie civile.
“Le Burkina
est en guerre, mais en quoi vous et moi sommes en guerre ? Dans ses publications,
il ne parle jamais des terroristes. Sa guerre, c'est plutôt contre d'autres
citoyens. On peut se tromper mais persister dans l'erreur est diabolique et le
diable n'a pas sa place dans notre société”, a soutenu Me Farama.
Il cite
ici une publication de l'écrivain dans laquelle ce dernier affirme que Facebook
n'est pas un espace de non droit et que les auteurs de propos diffamatoires
devraient répondre devant la justice.
“C'était en 2022. Aujourd'hui, Adama Siguiré demande de supprimer la justice parce qu'il estime que le pays est en guerre. Si M. Siguiré défend quelque chose, ce n'est pas pour l'intérêt de ce pays (...) Pense-t-il être plus patriote que nous tous ? Il a le droit de penser ainsi mais cela ne lui donne pas le droit d’injurier les autres”, conclut Me Prosper Farama.
Après les plaidoiries de la partie
civile, place au ministère public pour ses réquisitions.
Selon le
parquet, le prévenu n'a pas été en mesure de fournir les preuves de ses
allégations.
“Il n'a donné
aucune preuve. Il a menti”, indique le ministère public.
L'intention
de diffamer, dit-il, ne souffre d'aucun débat car les publications ont été
faites à différentes dates.
“Adama
Siguiré a porté les accusations sur la base de ses émotions. C'est une personne
dangereuse pour la société. C'est un délinquant primaire”, a-t-il
poursuivi.
Il appelle
également les internautes à faire attention aux informations publiées sur les
réseaux sociaux
Dans son
réquisitoire, le parquet requiert une peine d'emprisonnement de 3 mois et une
amende de 500 mille FCFA, le tout assorti de sursis contre le prévenu.
Place maintenant à la défense pour ses
plaidoiries. Elle est
revenue sur une exception formelle soulevée au début du procès. Elle avait
alors demandé au tribunal de surseoir au jugement car, dit-elle, la personne
ayant remis les quatre actes à Adama Siguiré pour sa comparution n’a pas les
qualités requises pour cela.
Le Tribunal
avait cependant décidé de joindre cette exception au fond du dossier. La
défense a d'emblée demandé au Tribunal de statuer sur cette exception.
“S'ils ont
fait le choix de la voie de la citation directe, ils doivent respecter la
procédure. Ce qu'ils demandent, c'est l'application de la loi, et c'est
également ce que nous demandons. Pour la citation directe, l’acte doit
être remis par un huissier de justice qui peut se faire suppléer par un clerc
assermenté.
Nous avons
apporté la preuve que dans le cas d'espèce, les actes n'ont pas été remis ni
par un huissier, ni par un clerc assermenté. Quelle est donc la nature de ces
actes ?”, s'interroge Me Kirsi Traoré, avocat de la défense.
Selon lui, le
parquet n'a pas contesté l'irrégularité de ces actes.
“Des actes
irréguliers ne peuvent être utilisés pour un procès”, dit-il.
Selon Me
Traoré, le Tribunal devrait se prononcer sur cette exception.
Me Adama
Kondombo, un autre avocat de M. Siguiré, lui, demande au Tribunal de “jeter ces
actes à comparaître dans une poubelle juridique”.
“ Ou alors
incinérez-les juridiquement, cela va conseiller des générations. Ce que nous
disons, ce n'est pas pour faire une propagande juridique ou du dilatoire”,
affirme-t-il.
Il demande
également au Tribunal de considérer certains mots et expressions utilisés par
le prévenu dans sa décision. Il mentionne, par exemple, le terme “contexte de
guerre”.
“Sommes-nous
en guerre, oui ou non ? Ce n'est pas une vue de l'esprit. Vous devez avoir cela
à l'esprit lors de la délibération”, a-t-il lancé au Tribunal.
Selon lui,
l'écrivain est dans un esprit de communication de guerre. “ Prenez toutes les
citations à comparaitre; il communique comme un soldat de la communication de
guerre. Est-il un Volontaire pour la défense de la patrie (VDP) de la
communication de guerre, oui ou non?
Comme les VDP
qui ont pris les armes, M. Siguiré s'est engagé dans une communication de
guerre et il le fait très bien”, a-t-il indiqué.
Et il
poursuit : Adama Siguiré est un patriote engagé qui a été peint en
noir.
Selon cet
avocat, le Burkina est en contexte de guerre. La CGT-B a décidé
d'organiser une manifestation et M. Siguiré a décidé de “s'engager dans le
combat”.
Adama Siguiré
est décrit, entre autres, comme “un bon père de famille”, un "patriote
engagé”, affirme l'avocat.
Pour lui, la
partie civile cherche de l'argent car, dit-il, d'habitude, la CGT-B demande un
franc symbolique. “Si c'était pour laver son honneur, la CGT-B aurait demandé 1
franc symbolique comme elle le fait d'habitude”, a-t-il affirmé.
Les avocats
de la CGT-B et de Moussa Diallo avaient précédemment réclamé le paiement de 20
millions FCFA pour leurs clients au titre des dommages et intérêts ainsi que
2,5 millions pour ce qui concerne les frais exposés et non compris dans les
dépens.
Selon Me
Maria Kanyili, les faits décrits par Adama Siguiré sont vrais et ne peuvent
être de la diffamation. Pour elle, le rôle de l'écrivain est de dévoiler ce qui
est caché.
“Moussa
Diallo a abandonné son poste et cela est une preuve que la CGT-B fait la
promotion de la paresse”, déclare-t-elle.
Cet argument
est également utilisé pour justifier des déclarations de l'écrivain selon
lesquelles la CGT-B fait la promotion de l'athéisme.
L'athéisme,
dit-elle, c'est l'absence de morale. Si le premier responsable de la CGT-B se
comporte de la sorte, c'est la preuve que la CGT-B est athée”.
La preuve est
libre, dit-elle. “ Adama Siguiré n'a pas menti. Il a dévoilé des choses pour
permettre aux autres de prendre leurs responsabilités”,
poursuit-elle.
Et elle
ajoute que le “comportement de la CGT-B” révèle de sa “volonté de déstabiliser
la Transition et le pays”.
“Le
comportement de la CGT-B montre qu'elle veut déstabiliser la Transition. Ce
n'est pas Adama Siguiré seulement qui a dénoncé cela. Beaucoup d'autres
citoyens l'ont également dit. 14 organisations avaient projeté le meeting.
Pourquoi c'est la CGT-B seulement qu'on accuse? Si c'était un simple meeting,
ils auraient tenu l'activité”, a-t-elle défendu.
Elle
fait notamment référence à un meeting projeté par des organisations de la
Société civile ainsi que des structures syndicales dont la CGT-B le 31 octobre
dernier. Le meeting a été par la suite suspendu à la demande de l'autorité
communale.
Poursuivant
sa défense concernant la déclaration selon laquelle la CGT-B veut déstabiliser
la Transition, Me Kanyili mentionne un communiqué du gouvernement daté du 15
janvier 2023 concernant une tentative de déstabilisation.
Selon elle,
le communiqué du gouvernement corrobore les écrits de M. Siguiré. Il ne
mentionne pas nommément la CGT-B. Mais elle estime que cette centrale syndicale
fait partie des structures pointées du doigt dans cette affaire. Ainsi, Me
Kanyili demande au Tribunal de renvoyer M. Siguiré au bénéfice du doute.
Même son de
cloche du côté de Me Solange Zeba. Selon cette avocate de la défense, “Adama
Siguiré se bat pour le pays”.
Elle insiste
également sur la notion de communication de guerre. “C'est un écrivain; ce
qu'il sait faire le mieux, c'est écrire. Il n'a voulu faire de mal à personne”,
a-t-elle insisté.
Selon elle,
M. Siguiré a accueilli des milliers de personnes ayant fui son village du fait
du terrorisme.
Il aborde
également le bilan humain de la crise sécuritaire. “Plus de 20 mille personnes
sont mortes suite au terrorisme depuis 2015”, affirme-t-elle sans préciser la
source de ce chiffre.
“Adama
Siguiré utilise son arme pour servir le pays. Il a écrit pour choquer et non
pour nuire. Le professionnel ne révèle jamais ses sources. De façon
cartésienne, il a démontré la véracité de ses affirmations”, a-t-elle ajouté.
L'écrivain, selon sa conseillère, entend s’enrôler comme Volontaire pour la
défense de la patrie (VDP) après le procès.
Selon Me
Ahmed Mamane, Adama Siguiré est un spécialiste de la communication de guerre.
Il a, dit-il, un amour profond pour son pays. “Adama Siguiré a déjoué un
complot de déstabilisation de la Transition par ses écrits. La CGT-B a tenté de
démoraliser l'armée et les citoyens. Le péché de Siguiré, c'est d'être un
citoyen sincère, c'est d'avoir dénoncé le plan de la CGT-B”, note l'avocat
nigérien. Selon lui, le fait que le meeting n'ait pas eu lieu est la preuve
qu'il ne s'agissait pas d'un simple meeting.
Il estime
également que Moussa Diallo devrait se présenter au procès. Cela pour la
manifestation de la vérité. “Moussa Diallo a opté pour la politique de la
chaise vide et cela risque de porter un coup à la manifestation de la vérité.
Il devrait comparaître pour que nous puissions lui poser des questions afin
d’élucider certaines zones d’ombre”, lance-t-il.
Toutefois, la
loi burkinabè n'exige pas la présence du plaignant dans le cas d’espèce.
Dans le cadre
des preuves concernant les allégations de déstabilisation, la défense mentionne
également, comme à l'audience précédente, des publications de l'activiste
Ibrahima Maïga. Selon elle, ces publications n'ont pas été démenties par la
CGT-B. Ce qui constitue une preuve de véracité, selon elle.
“Aujourd'hui,
même si on décapite Adama Siguiré, la CGT-B va poursuivre ses agissements de
déstabilisation du régime. Cela à travers la démoralisation des soldats et des
citoyens”, lance l'un des avocats de la défense.
Selon le
Conseil de l'écrivain, ce dernier n'a “aucune animosité contre la CGT-B et son
Secrétaire général”.
“Il a écrit
pour dénoncer. C'est une réalité, le Burkina est en guerre. Il s'agit d'un
débat public d'intérêt général (...) Adama Siguiré est peut être incompris
aujourd'hui mais l'histoire lui donnera raison”, insiste Me Mamane.
S'adressant
au Tribunal, il déclare : Vous avez entre vos mains la stabilité du pays parce
qu'on ne doit pas passer par la justice pour déstabiliser le pays.
Après les plaidoiries des avocats de la
défense, le prévenu a été invité à dire son “ dernier mot”.
“Mes avocats
ont montré que le droit est une science. Je suis venu en bon justiciable. Je ne
suis coupable de rien. La CGT-B a communiqué et nous avons communiqué. Si
demain, elle communique, nous le ferons également. La CGT-B a décidé de ne pas
soutenir la Transition (...) Je ne me reproche rien”, a-t-il affirmé.
Après avoir
écouté les différentes parties, le Tribunal a décidé de mettre le dossier en
délibéré pour le 6 mai 2024.
Lucien KAMBOU