Interpellation de 4 « espions » français au Burkina : Les non-dits d’une affaire brûlante

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Ph.d

Interpellation de 4 « espions » français au Burkina : Les non-dits d’une affaire brûlante

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L’affaire suscite des gorges chaudes. Les quatre agents des Services de renseignement français, qui ont tenté de se faire passer pour des « diplomates », puis des « techniciens en informatique », ont été appréhendés, à Ouagadougou, dans la nuit du 1er au 2 décembre dernier. Les enquêteurs auraient senti que tout n'était pas net chez ces soi-disant "diplomates français". En effet, tout porte à croire que leur mission n'était pas normale, comme on le voit d'habitude avec les missionnaires classiques, mais plutôt qu’ils étaient là pour de l’« espionnage ». 

Dans la foulée, une procédure judiciaire a été ouverte pour élucider cette affaire. Et ces « espions » ont été mis aux arrêts et mis à la disposition des autorités judiciaires du Burkina. Les autorités françaises ayant compris que des choses pourraient être démasquées entendent sauver la face le plus rapidement possible. Selon nos sources, la partie française aurait privilégié la voie de la négociation pour la libération de ses agents.

Les faits : le 29 novembre 2023, le vol n° SN225 de la compagnie Brussels Airlines atterrit à l’aéroport international de Ouagadougou. Les passagers s’apprêtent à accomplir les formalités de police. Dans le lot, des agents français de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Ils sont quatre. Mais pour le moment, nul ne sait qu’ils appartiennent aux Services de renseignement français. Ils se présentent aux éléments de sécurité chargés des formalités aéroportuaires comme des « diplomates ». Ils leur présentent d’ailleurs des passeports diplomatiques. Et ils précisent, dans les formulaires de renseignement, qu’ils sont là pour un « séjour d’affaires ». Durée de leur présence au Burkina : 7 jours. 

Petit couac cependant à l’aéroport. Lorsque les services de police aéroportuaires s’apprêtent à relever les empreintes digitales, les quatre agents expriment leur désapprobation. Brandissant, une fois de plus, leur qualité de « diplomates ». Juste après, conformément aux règles procédurales, ils sont invités à préciser leur lieu de résidence à Ouagadougou. Réponse : Ambassade de France. Mais la réalité est tout autre. Ils ont plutôt logé dans un hôtel, à Koulouba, un quartier de Ouagadougou. Que sont-ils exactement venu faire au Burkina ? « Des affaires » comme ils l’ont écrit dans le formulaire de renseignement ? Dans ce cas, de quelles « affaires » s’agit-il ? 

Les services de surveillance du territoire se mettent aussitôt en alerte. Petite enquête sur le « visa de type diplomatique » obtenu par les quatre individus. Et ils se rendent compte qu’il y a problème ! Plusieurs sources diplomatiques, contactés par notre journal, confirment, en effet, que la procédure n’a pas été respectée : « Pour ce type de visa, explique un diplomate, il faut impérativement se rendre dans une mission diplomatique ou un poste consulaire du Burkina Faso à l’étranger. Deux documents essentiels sont à présenter à ce niveau : le passeport diplomatique et une note verbale du ministère français des Affaires étrangères. Si cette procédure est respectée, le visa est délivré à titre gracieux ». Mais les quatre agents, qui prétendent porter la tunique de diplomates, ont visiblement foulé aux pieds cette procédure. Peut-être à dessein. Ils ont plutôt choisi d’effectuer des demandes de visa expresses en ligne, avec des passeports diplomatiques.

Les enquêteurs, au regard de cette entorse à la règlementation, décident de voir plus clair dans cette affaire. 

Coup de pied dans la fourmilière ! Et ils découvrent qu’il y a des liens entre les quatre individus et des « acteurs locaux, à des fins de manipulations et de collecte d’informations ». Les faits sont assez graves. Et même très graves selon des sources proches du dossier. Les prétendus diplomates sont finalement interpelés la nuit du 1er au 2 décembre. Des téléphones et d’autres appareils saisis, au moment de leur interpellation, commencent à parler ! On se rend compte qu’ils effectuaient un « énorme travail » de collecte d’informations sur le Burkina Faso : activités des activistes, fonctionnement des services de sécurité et bien d’autres aspects. On découvre également que les quatre individus ont établis de nombreuses communications avec des « contacts » dans certaines localités à fort défis sécuritaire : Tongomayel, Baraboulé, Noumoundara, Touka, Namounou, etc. Dans ce contexte sécuritaire préoccupant, la vigilance est de mise. Les services chargés de la surveillance du territoire poussent l’enquête… encore plus loin ! Et de plus en plus, la face cachée des quatre « diplomates » apparait au grand jour. Un faisceau d’indices concordants semble indiquer qu’ils s’intéressent à certaines questions stratégiques.

Les quatre agents, probablement coincés, essaient de se sortir d’affaire. De « diplomates », ils se présentent désormais comme « des techniciens en informatique ». Mais cela est loin de convaincre les enquêteurs. Ils donnent encore un coup de pied dans la fourmilière. Et là, ils découvrent, qu’en réalité, ces individus ne sont pas de simples techniciens en informatique comme ils le prétendent. Mais plutôt des « agents sous couverture », appartenant aux Services de renseignement français, notamment de la DGSE. 

« Les relations entre Ouagadougou et Paris n’étant pas bonnes, la coopération en matière de renseignement se fait dans la prudence. Ainsi, tout agent de renseignement qui arrive au Burkina dans le cadre de ses missions, doit en faire notification aux autorités de renseignement de notre pays », souligne une source sécuritaire. « Le responsable chargé du renseignement français au Burkina, bien connu de nos autorités, aurait pu le faire. Mais il n’y a eu aucune notification ». Du coup, « cela les rend systématiquement agents clandestins (donc d’espionnage) », nous a-t-on soufflé. Et ce n’est pas tout. Le fait de ne pas reconnaitre, dès les premiers instants, d’être de la DGSE française renforce la « suspicion d’espionnage ». 

Autre incohérence : les dates d’établissement des passeports. Deux ont été récemment délivrés. Est-ce une coïncidence avec leur date d’entrée au Burkina ? Ou cela a-t-il été fait dans le cadre de cette mission suspecte ? Question à multiples inconnues.

Et ce n’est pas tout. Selon nos sources, la période de leur séjour fait également penser « à de probables activités subversives ». En effet, ils sont arrivés au Burkina Faso le 29 novembre. Trois jours après la grande attaque terroriste du 26 novembre contre la ville de Djibo. Avaient-ils prévu « des opérations de récupérations ou de manipulations de certains acteurs locaux pour discréditer ou pousser à un changement de régime si cette attaque avait atteint ses objectifs ?». Cette question revient, avec insistance, dans les milieux sécuritaires. Surtout que la demande de visa a été introduite avant l’attaque. Autre hypothèse : cherchaient-ils à recueillir des informations stratégiques afin de comprendre les raisons de l’échec de cette attaque ? Une aubaine aussi, selon certaines sources, de recueillir des informations sur la transition et ses soutiens locaux. Bref, la Justice, saisie, devrait permettre de décrypter tout cela.

 Il existe, visiblement, des incohérences sur le motif réel de la présence des quatre agents sur le sol burkinabè. Au regard de la gravité supposée des faits, « tout le dispositif de coopération du renseignement avec l’ambassade de France a été relevé », nous a-t-on confié. En attendant, les quatre prétendus diplomates, eux, vont devoir s’expliquer devant le juge. Motif : « espionnage ».

Hervé D’AFRICK

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Photo d’illustration



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