Le climat est assez tendu. Le Directeur général de la
police nationale, Roger Ouédraogo, a tapé du poing sur la table. Le chef du
poste de police frontalière de Kologo, situé dans la province du Kénédougou,
région des Hauts-Bassins, a été mis à la touche. Lui et tous ses éléments. 23
au total ! Le DG les a sommés, le 14 décembre, de « libérer »
les lieux dès le lendemain. Et de se présenter, le 18 décembre, à la Direction
générale de la police nationale, à Ouagadougou. Ils sont accusés, selon nos
sources, d’avoir trempé dans une affaire présumée de rackets.
La
Brigade anticriminalité (BAC), basée à Bobo Dioulasso, s’est déportée à Koloko le
matin du 15 décembre. Elle est chargée d’assurer la relève en attendant
l’arrivée d’une nouvelle équipe. Les flics qui officiaient, jusque-là, dans ce
poste de police frontalière ont dû plier bagages. Direction : Ouagadougou.
Ils vont devoir s’expliquer, lundi matin, concernant une affaire de rackets. Selon
nos sources, le dossier a été examiné au sommet de l’Etat. Ordre a ensuite été
donné au DG de la police nationale de mettre fin à cette pratique. Avec
diligence.
L’affaire
a éclaté suite à des contrôles de routine. Des cars de transport en commun et
des camions de transport de marchandises doivent se soumettre, chaque jour, à
des vérifications. Notamment des contrôles documentaires. Il se trouve que certains
passagers ne disposent pas de cartes d’identités conventionnelles, telles que
reconnues par la législation burkinabè. Ils ont plutôt des cartes d’électeurs
admis, dans certains pays, comme document d’identité. Mais au Burkina, ça ne
passe pas ! Ici, la carte d’électeur n’a pas valeur de carte d’identité
nationale.
Ainsi,
comme d’habitude, à ce poste de contrôle, il y a une sorte d’entente tacite qui
consiste, pour les passagers ne disposant pas de carte d’identité
« reconnue » au Burkina, de payer, chacun, 2000 FCFA. Les conducteurs
de camions de transports de marchandises, eux, sont soumis au paiement de
montants assez importants. « Au-delà des normes légales », nous a-t-on précisé.
S’ils ne le font pas, les flics ne les autorisent pas à reprendre le volant. Ils
sont donc pratiquement obligés de s’y conformer. Et comme cela génère des
fonds, souvent de « gros sous », si l’on évalue le nombre de
passagers ou de camions par mois ou par an, la pratique a fini par se
généraliser dans les postes de contrôle des zones frontalières. Que le passager dispose de document
d’identité ou pas, il est sommé de payer 2000 FCFA. Cela fait évidemment monter
la « cagnotte » au niveau des policiers qui peuvent ainsi
« arrondir convenablement les salaires en fin de mois », confie l’un des
éléments du poste de police de Koloko.
Les convoyeurs
des cars, en provenance du Mali et du Niger par exemple, ont donc collecté, ce
jour-là, les 2000 FCFA exigés. Selon nos sources, les fonds récoltés auraient
ensuite été remis au chef de poste. « Mais aucune quittance n’a été
délivrée. En clair, cet argent n’ira pas dans les caisses de l’Etat »,
précise une source proche du dossier. Et elle ne se limite pas là : « L’utilisation
des cartes d’électeurs comme document d’identité est une pratique irrégulière. Le professionnalisme voudrait que l’on rapporte
ces cas à la hiérarchie. Et que l'infraction de défaut de présentation de carte
identité soit verbalisée ».
Les
cars, après s’être soumis aux exigences de contrôle, ont redémarré avec leurs
passagers à bord. Mais « cette façon de collecter les 2000 FCFA sans
quittance a frustré certains. Ils estiment que cela s’est fait sans base légale.
Et qu’il n’est pas normal, au moment où l’on envisage une fédération des pays
de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), d’admettre de telles tracasseries ». Des
passagers ont donc dénoncé la pratique aux autorités maliennes. Et ce n’est pas
une première. « Les dénonciations se sont enchainées. Des Maliens, qui ont
transité par ce poste de police, ont porté l’affaire en haut lieu. Pointant
ainsi du doigt les comportements déviants de policiers burkinabè lors des
contrôles documentaires sur les véhicules et les passagers maliens en
particulier. Il en ressort que les flics exigeaient des sommes d’argent concernant
certaines infractions avec des contraventions hors loi, les montants exigés
n’étant pas conformes à ceux prévus par la législation burkinabè ». Les
plaintes étant récurrentes, le Mali a finalement saisi les autorités burkinabè.
Ces dernières ont ainsi donné instruction au Directeur général de la police
nationale de procéder à des vérifications. Et de faire cesser ces pratiques
« dans les plus brefs délais », si elles sont avérées.
La
suite ? La voici : une « petite enquête » a été ouverte par
le DG de la police nationale. « Une mission de renseignement s’est ainsi rendue
à Koloko. Et elle a constaté effectivement des pratiques corruptives. Le
mauvais accueil réservé à certains usagers de la route également », révèle une
source proche du dossier. Au regard du rapport suffisamment accablant, le DG de
la police nationale a brandi l’arme de la sanction sur les présumés
racketteurs. Il a ainsi relevé le chef de poste et ses éléments de leurs
fonctions. Il est prévu, ce lundi, à Ouagadougou, une séance d’explication à
propos de ce « dossier brûlant ». Selon des sources proches de la
Direction générale, les policiers concernés seront auditionnés. Certains
d’entre eux, contactés par notre Rédaction, se disent confiants, prêts à livrer
leur part de vérité. Ils ont convenu de se retrouver devant la DGPN à 7h30mn.
Mais
cette affaire, qui n’est qu’à son premier épisode, pourrait éclabousser
certains hauts responsables de la police nationale. Il nous revient, en effet,
que les fonds collectés lors des contrôles sont, en partie, reversés « aux
chefs ». L’affaire pourrait donc se transformer en rouleau compresseur et
« avaler » ainsi certains « gros bonnets » de la police. A suivre.
Hervé D’AFRICK