Il a imprimé sa marque dans plusieurs
structures de l’Administration publique. Son dernier poste : Coordonnateur
du Programme de réalisation des infrastructures socio-économiques (PRISE). Dans
cet interview, Olivier Sawadogo, qu’on qualifie « d’homme de principe » et
de « très rigoureux dans le travail », a été admis à la retraite le 31
décembre 2022. Nous l’avons rencontré à cette occasion. Dans cette interview, il
apporte un regard averti sur certaines questions d’intérêt national.
Vous avez été admis à la retraite et vous vous
apprêtez à quitter vos fonctions. En dehors de la fonction de coordonnateur du
PRISE, quelles sont les fonctions que vous avez occupées ?
J’ai
occupé successivement les fonctions de Directeur régional de l’Economie et de la
planification, Secrétaire permanent des partenaires du développement rural
décentralisé, Secrétaire général du ministère de l’Economie et du
développement, Directeur général de la Caisse autonome de retraite des
fonctionnaire (CARFO), Coordonnateur du Programme socio-économique d’urgence de
la Transition (PSUT), Conseiller Technique et cumulativement Coordonnateur du
Programme de réalisation des infrastructures socio-économiques.
Avez-vous le sentiment d’avoir bien accompli
vos missions ?
La mission du fonctionnaire, c’est d’assurer le service public. Et lorsque celle qui vous a été confiée vous permet d’impacter positivement la vie des populations, vous pouvez rendre grâce à Dieu d’avoir été utile. En ce qui concerne ma fonction au sein du PRISE et du PSUT, j’avais pour mission de contribuer à l’amélioration de l’accès à l’eau potable, à la santé et à l’éducation des populations. C’est au total 152 complexes scolaires, 05 amphithéâtres, 101 CSPS, 295 forages et 05 bâtiments administratifs qui ont été réalisés. En ce qui concerne la CARFO, nous avons travaillé à une véritable mutation de l’institution, ce qui lui vaut la satisfaction des pensionnés. Dans mes différentes missions, j’ai travaillé à laisser à l’usager du service public le souvenir d’un commis qui a donné le meilleur de lui-même pour sa satisfaction pleine et entière. Oui, j’ai le sentiment d’avoir accompli ma mission, tant en ce qui concerne les personnes âgées, les veuves et les orphelins, qu’en ce qui concerne les populations qui étaient en attente des infrastructures relatives aux services sociaux de base.
Où en sommes-nous aujourd’hui avec le
Programme de réalisation des infrastructures socio-économiques ?
A la
date du 31 décembre 2022, le programme affichait à son actif : 44 CSPS, 76
complexes scolaires, 21 ouvrages de franchissement, 239 forages positifs, 01
gendarmerie, 02 maisons de la femme et 02 commissariats de police. Le ministre de
l’Economie et des finances, M. Aboubacar Nacanabo, qui vient d’arriver, a
décidé de mettre le programme au cœur de son action.
La situation sécuritaire a dû ralentir les
activités sur le terrain. Comment analysez-vous cela ?
La
situation sécuritaire a effectivement empêché le programme de se déployer dans
toutes les provinces. A ce jour, seul un CSPS et deux forages ont connu des
difficultés d’exécution du fait de cette situation.
Avec votre départ, qui vous succède à la tête
du programme ?
Je cède
les rênes du Programme à un collaborateur, M. Aboubacar Idani. C’est un agent
qui connait bien le programme et qui a été à mes côtés depuis son démarrage. Il
n’y a aucun doute que la mission sera accomplie avec satisfaction.
Il nous revient que la santé occupe la
première place dans le budget du PRISE. Qu’en est-il de l’éducation et des
ouvrages de franchissement ?
La
situation au niveau de la santé demande toujours des efforts de la part de
l’Etat. Nos interventions au cours des deux dernières années représentent plus
de 50% du nombre total de CSPS réalisés au cours de la période, alors qu’au
niveau des complexes scolaires, c’est tout juste 23%. Le domaine de l’eau
potable a occupé aussi une grande place.
Avoir de l’eau potable est en effet une
grosse préoccupation des populations. Qu’a fait le PRISE dans ce sens depuis
son démarrage ?
L’option
d’investir dans la réalisation des points d’eau potable s’explique par la
volonté d’améliorer l’accès des populations rurales à l’eau potable.
En
effet, le taux d’accès à l’eau potable est passé de 71,9% en 2015 à 76,4% en
2020. C’est dire donc, qu’elles sont encore nombreuses les populations qui
souffrent du manque d’eau potable.
Le
programme a réalisé 239 forages et deux mini AEP. Il a en outre réalisé une
retenue d’eau. Certains de ces forages ont été réalisés dans des endroits où
les populations n’avaient que l’eau des marres comme source
d’approvisionnement. Nous avons constaté que la région de la boucle du Mouhoun
et celle du Sud-ouest sont celles qui souffrent particulièrement de problèmes
d’eau.
Par ces infrastructures hydrauliques, le PRISE contribue à créer les conditions de réduction du temps de corvée des femmes rurales, leur donnant ainsi l’opportunité d’envisager des activités génératrices de revenus, facteur de lutte contre la pauvreté et de développement de la résilience.
La particularité du PRISE, selon plusieurs
observateurs, c’est le fait de pouvoir réaliser des infrastructures de qualité
avec des budgets pas si énormes. De façon concrète, comment vous êtes-vous pris
pour parvenir à de tels résultats ?
Les
investissements réalisés par les ministères sectoriels présentaient deux
caractéristiques. Ils sont relativement plus coûteux et leur rythme de
réalisation ne permet pas d’inverser les tendances sociales à moyen terme. Le
PRISE a poursuivi la mission pédagogique d’offrir des infrastructures dans des
délais raisonnables, à moindre coût et surtout de qualité.
Sur
45 CSPS réalisés, 41 ont un coût inférieur à 200 millions de francs CFA. Les 4
autres dont les coûts sont supérieurs ont été réalisés dans la région de l’Est.
Les coûts des mêmes types d’infrastructures réalisées ailleurs ont varié entre
210 et 230 millions. Par ailleurs, un effort de maitrise des charges de
fonctionnement a conduit à la constitution d’une équipe légère de projet, composée
de cinq cadres, deux chauffeurs et un agent de liaison.
Depuis
2021, l’on assiste à un intérêt grandissant de la part des sociétés d’Etat
autour des objectifs poursuivis par le PRISE et surtout, une volonté de ces
acteurs de s’associer au PRISE. Aujourd’hui, il est agréable de constater
l’engagement de la CARFO et de la LONAB aux côtés du Programme. Ces deux
institutions ont choisi, au regard des acquis (qualité, rapidité, coût),
d’apporter leur contribution à la lutte menée sur le terrain pour le bien-être
des populations. Au cours de l’année 2021, la LONAB a financé la réalisation de
02 CSPS. Pour l’année en cours, elle envisage d’intervenir pour 04 CSPS et la
CARFO 01 CSPS et 01 complexe scolaire.
Quels sont, à votre avis, les obstacles que
vous avez rencontrés dans la conduite du Programme et qui méritent d’être partagés
?
Le premier
obstacle a été l’insécurité. Les programmes de développement sont des choix
politiques. La remise en cause consécutive aux changements de régime se traduit
parfois par des abandons des choix antérieurs. La naissance du PRISE a été
dystocique ; elle s’est imposée par sa pertinence et ses résultats.
Selon nos reporters qui ont effectué des
sorties sur le terrain, les populations de certaines zones, qui avaient,
pendant plusieurs années, le sentiment d’être abandonnées par l’Etat, ont
fortement applaudi les infrastructures réalisées et souhaité que le PRISE
continue dans cette lancée. Que prévoit le PRISE au cours de l’année 2023 en
termes d’infrastructures éducatives, sanitaires, de desserte en eau potable et
de désenclavement de certaines zones rurales ?
Situés à des distances très éloignées de la capitale et parfois à proximité des pays voisins, certains villages vivaient l’absence de services sociaux de base comme un abandon. Cela a engendré chez les populations de ces villages un sentiment de frustration. La réalisation des infrastructures du PRISE dans ces villages a suscité un sentiment de joie, une réconciliation retrouvée avec la nation. Pour ce qui est des prévisions de 2023, je ne pourrais rien dire puisque je m’en vais. Mais le ministre de l’Economie et des finances a promis de faire jouer un grand rôle au PRISE dans l’effort global actuel de lutte contre le terrorisme. Il est très sensible aux préoccupations des populations à la base. Et quand un dirigeant est capable d’empathie, il n’y a pas de doute que les problèmes de développement trouveront des solutions.
Ce type de programme avait été initié en
2015. Les infrastructures qui avaient alors été construites sous l’impulsion du
Programme socio-économique d’urgence de la Transition (PSUT) sont visiblement
toujours solides. Vous étiez aux commandes du PSUT. Quels étaient les
fondements de ce projet et quels enseignements avez-vous tiré de cette
expérience ?
Les
acteurs de la Transition en son temps voulaient laisser des traces de leur
passage. Ils ont conçu ce programme pour le temps de leur passage et tenaient à
voir son impact sur le terrain. Ils ont visé la jeunesse, les populations
rurales et les Petites et moyennes entreprises (PME).
En
une année, beaucoup a été fait (76 complexes scolaires, 05 amphithéâtres, 57
CSPS et 56 forages et des crédits accordés à plus de 3000 jeunes).
De ce
projet, je retiens que nous pouvons faire de grandes choses si nous mettons la
volonté.
Peut-on dire que le PRISE est une continuité
du PSUT ?
Non,
on ne peut pas dire cela. Le PSUT a réalisé des complexes scolaires, des CSPS,
des forages et a accordé des prêts aux PME. Il a été conçu en mars 2015 et s’est
achevé une année plus tard en 2016, après avoir réalisé 76 complexes scolaires,
05 amphithéâtres, 57 CSPS et 56 forages. Le PRISE a démarré en 2019, soit trois
ans après la clôture du PSUT. Il s’en est certainement inspiré en abandonnant
le volet prêt et en étendant son domaine d’action aux bâtiments administratifs
et aux ouvrages de franchissement. Mais tout compte fait, ils se sont
complétés. Si je prends la seule année du PSUT et les deux années du PRISE,
cela fait 152 complexes scolaires, 05 amphithéâtres, 101 CSPS et 295 forages. Certains
lecteurs ne vont pas probablement percevoir l’importance de ces chiffres, mais
beaucoup de ces infrastructures ont été réalisées dans des endroits où l’Etat
était absent et où certaines populations faisaient recours aux services sociaux
des pays voisins.
Selon vous, comment peut-on venir à bout de
ces besoins sans cesse croissants en infrastructures sanitaires, scolaires et
en eau potable ?
Il
faut une volonté politique forte débarrassée des égos de personnes et des
calculs politiques. A ce sujet, je voudrais rappeler que la principale victime
de l’interruption d’un programme est la population pour qui l’Etat existe.
Malheureusement, j’ai pu constater que des problèmes de personnes et d’égo nous
ont parfois fait perdre de vue le sens même de l’Etat. La dynamique enclenchée
par le PSUT, s’il devait se poursuivre, aurait permis à la date du 31 décembre
2022, la réalisation de 532 complexes scolaires, 35 amphithéâtres, 399 CSPS et
392 forages. Malheureusement, il a été interrompu. Et le PRISE qui a failli
subir le même sort doit sa relance au ministre Aboubacar Nacanabo. Ce dernier a
promis de prendre en compte les personnes déplacées. Vous aurez certainement
l’occasion de voir l’impact de son action malgré les conditions financières
difficiles. Il y a beaucoup de gens qui ne connaissent pas les réalités dans
lesquelles vivent certains de nos compatriotes. Le PRISE a réalisé des
infrastructures dans des localités où on accède par les pays voisins. Pour la
réception de certaines infrastructures du PSUT, des agents ont failli renoncer
à la mission, tant les conditions de voyage étaient épouvantables. Après
soixante ans d’indépendance, nous ne pouvons pas continuer de trainer avec des
maux dont nous pouvons guérir. Les deux programmes que j’ai eu l’honneur de
conduire m’ont permis de réaliser qu’il nous faut juste la volonté. Une volonté
comme celle qui prévaut actuellement dans la lutte contre le terrorisme et une
volonté débarrassée de tout combat de personnes. Nous pouvons résoudre ces
problèmes et nous attaquer à l’industrialisation de notre économie.
On constate sur le terrain que les
infrastructures du PRISE et du PSUT se distinguent par leur solidité pendant
que depuis ces dernières années, d’autres s’écroulent à chaque saison
pluvieuse. Quel est votre secret et quels sont selon vous les raisons
fondamentales de ces effondrements ?
Nous
avons toujours aimé un travail bien fait. Mais disons que la qualité des
infrastructures repose sur trois facteurs : le maitre d’ouvrage, la
structure chargée du suivi-contrôle, l’entreprise et la population. Pour le
maitre d’ouvrage et la structure de suivi-contrôle, il leur faut juste la
rigueur et éviter surtout toute compromission. La compromission corrompt le
jugement et empêche la prise de bonnes décisions. Pour les populations, il faut
travailler à les impliquer dans la réalisation de l’infrastructure. Il y en a
qui sont prêts à tout gâcher s’ils ne sont pas impliqués. Ils peuvent parfois
être à l’origine de l’effondrement d’un bâtiment et cela, quel que soit la
technicité qui a prévalu à sa construction ; ce n’est pas rationnel, mais c’est
une dimension de nos traditions à prendre en compte. En ce qui concerne
l’entreprise, elle est par essence là pour son profit. Si elle est
consciencieuse, c’est bien mais il faut partir de l’hypothèse qu’aucun crédit
ne doit lui être accordé a priori.
Le PRISE comme le PSUT ont été exécutés sous ces considérations et aussi avec la volonté des acteurs d’écrire leurs noms sur les bonnes pages de l’histoire de notre pays.
Vous avez également été conseiller technique
du ministre des Finances ; quels sont les grands dossiers que vous avez
traités ?
Les
dossiers confiés au conseiller technique sont frappés du sceau de la
confidentialité. Je ne pourrai donc pas vous en parler.
Néanmoins,
je peux vous parler de la négociation avec les partenaires sociaux du Ministère
pour sortir le pays de la crise qui prévalait en 2018-2019. J’ai été la
cheville ouvrière des négociations. Ça a été très difficile mais il fallait
trouver un compromis pour que la terre continue de tourner pour tout le monde.
Un proverbe chinois dit que "c'est en voyant un moustique se poser sur ses
testicules qu'on réalise qu'on ne peut pas régler tous les problèmes par la
violence". Il y a beaucoup qui croient jusqu’aujourd’hui qu’on devait
faire usage de la violence. Cette violence allait accoucher de beaucoup de
vices dans la gestion financière de notre pays. Et ce n’est pas sûr que nous
puissions en venir à bout. Mais c’est mon point de vue et je respecte aussi le
point de vue des autres parties. L’essentiel est fait, le calme est revenu, les
partenaires sociaux sont même plus que jamais déterminés dans la lutte contre
la corruption et dans l’amélioration des performances, en particulier en termes
de recettes, qui sont observées aujourd’hui.
Je
saisis l’occasion pour inviter une fois de plus les autorités du Ministère de
l’Economie, des finances et de la prospective à maintenir le fil du dialogue
pour un climat de travail apaisé, gage de réalisation de bonnes performances.
Cela est d’autant plus nécessaire pour un pays qui cherche à récupérer et sécuriser
son territoire.
Vous avez aussi occupé les fonctions de
Directeur général de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO).
Les retraités évoquent de réformes que vous avez apportées. Pouvez-vous nous en
parler ?
J’y
ai passé 7 ans, 7mois et 7 jours. Entretemps, c’était gênant. Je rivalisais
avec un seul DG en termes de longévité à ce poste. Mais j’ai fini par « avoir
la route » en 2014. Je suis arrivé à un moment où les délais de traitement
des dossiers étaient encore longs. C’était une jeune institution au milieu de
grandes qui composaient la Conférence interafricaine de prévoyance sociale (CIPRES).
En vérité, je ne supportais pas cette place qui nous était réservée. Nous avons
beaucoup travaillé à nous doter d’un document de stratégie (élaborée en
interne) et c’est une fois munis de ce document que nous avons démarré les reformes
: nous avons réduit le délai de traitement des dossiers de pension à un jour ;
nous avons donné naissance à une coalition de soutien à l’orpheline du
fonctionnaire dans laquelle se retrouvait l’UNFPA, les banques et la CARFO qui
accordait des bourses à ces enfants en difficultés.
Nous
avons démarré la mise en œuvre de la loi portant prise en charges des maladies
professionnelles et des accidents de travail ; nous avons signé des
conventions avec les banques ramenant les agios bancaires des retraités à entre
0 et 100 francs par mois ; nous avons apporté plus de performance et
d’autonomie en matière informatique à l’institution.
En un
mot, malgré la faiblesse de nos ressources, nous nous sommes hissés à la
première place en termes de respect des normes CIPRES. Mais je dois dire que
dans un monde fait d’argent, la première place du pauvre ne vaut que ce qu’elle
vaut. Mais nous étions respectés et ça, il le fallait.
Vous quittez la fonction publique ; qu’est-ce
que vous auriez voulu faire que vous n’avez pas pu faire ?
Pendant
que j’étais à la CARFO, j’aurais dû soumettre un projet de loi qui fixe le taux
minimum de pension à 75% ;
Au
niveau du PRISE et du PSUT, impliquer les journalistes et les partenaires
sociaux dans la sélection des entreprises.
Il nous revient aussi que la corruption
gangrène l’attribution et l’exécution des marchés publics. Comment analysez-vous
cela ? Et que pensez-vous que l’on puisse faire pour en venir à bout
?
La
corruption se définit en général comme un abus de pouvoir à des fins
personnelles. Il me semble qu’elle est essentiellement une maladie de la
démocratie. J’ai eu la chance de connaitre la période révolutionnaire et la
démocratie qui lui a succédé. Et j’ai fini par me faire cette conviction que la corruption se trouve dans le gène même de la démocratie.
Le drame est qu’elle a été propagée dans le reste du pays à travers la
décentralisation intégrale. J’ai aussi observé le peu d’intérêt que les élites
corrompues portent à leur peuple. Je perçois la corruption comme l’effet d’une érosion
de nos valeurs. Jusqu'en 1960, l'homme valait par sa naissance. Tu es de telle
famille, on te respecte tel. De 1960 jusqu'en 1990, l'homme valait par ce qu'il
est. Tu es honnête, on te respecte tel et on te donne ta place dans la société.
C’est aussi dans cette période que la révolution est née. À partir de 90,
l'homme ne vaut que par l'avoir : ta place dans la société dépend de
combien tu as. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre cette nouvelle
vision de notre société. Dans l’imaginaire populaire, les gens ont cessé de
croire en la possibilité de la présence d’un homme intègre dans notre pays.
Pourtant, il en existe et c’est sur ces hommes qu’il faut s’appuyer pour lutter
contre la corruption. Il faut célébrer les vertus. Je rêve de voir des salles
dans chaque ministère abritant les illustres fonctionnaires et une salle
nationale d’illustres fonctionnaires de plus haut niveau. La Transition donne
aujourd’hui l’occasion de voir des hommes qui aiment leur pays et qui donnent
leur vie pour lui. Ils sont sur le terrain et chaque jour est un bonus pour
eux. Dans l’administration aussi, il en existe et qui font chaque jour des
efforts intérieurs pour incarner les valeurs morales. Toutes ces personnes
doivent bénéficier de traitement spécial afin de rediriger les consciences vers
les valeurs de dignité et de probité. Mais il ne faut pas oublier d’accorder
une place importante à la sanction. Mais quand je vois le nombre de gens qui brûlent
les feux tricolores chaque fois que les policiers sont partis, je me dis qu’il
faut cultiver des valeurs en chacun de nous. Du reste, cette lutte pour moi,
consiste à revenir aux fondamentaux sur lesquels il a été décidé que notre pays
s’appellerait Burkina Faso.
Ceci
dit, en ce qui concerne les marchés publics, il faut reconnaitre
qu’aujourd’hui, ils sont vus comme un moyen d’enrichissement et non comme un
service ou un bien à fournir à l’administration. Dans le souci de se doter d’infrastructures,
de biens ou de services, le service public se retrouve à assister à une
interminable bataille entre candidats aux marchés publics qui peut prendre
parfois plus d’une année.
Pour ce qui est de la lutte contre la corruption dans les marchés publics, je ne pense pas que les sanctions ou les textes puissent à eux seuls, changer quelque chose. Ils ne changeront rien tant que le marché public est une source d’enrichissement et que la place de l’homme dans la société dépend de combien il a. Beaucoup pensent qu’il faut changer les textes pour que tout devienne droit. Non, quels que soient les textes, quelle que soit la procédure utilisée, le mal sera toujours là tant que l’homme qui est chargé de la mise en œuvre n’est pas droit. Aujourd’hui, nous constatons que des habitants de villages vendent de l’essence, des vivres aux terroristes qui les ont pourtant chassés de leurs villages ; on n’a pas besoin de trop réfléchir pour comprendre que le mal est profond. Mais parallèlement, nous avons des gens qui, bien qu’ils voient des hommes tomber chaque jour, se font enrôler chaque jour au sein des VDP. Il revient à vous, hommes de média et à la société entière, de savoir quoi faire face à ces deux cas. Pour ma part, je crois qu’il faut célébrer et promouvoir le bien pour qu’il triomphe sur le mal. Tous les hommes qui combattent, qui posent des actes héroïques, au front, dans l’administration, dans notre vie au quotidien doivent être célébrés. Il faut mettre l’accent principalement sur les trains qui entrent à l’heure pour obliger le maximum de train à entrer à l’heure ; je crois que c’est ainsi que nous viendrons à bout de la corruption au sein des marchés publics.
L’Assemblée législative de la transition
(ALT) a adopté récemment une loi relative à la neutralité de l’Administration.
En quoi cela peut-il permettre de booster les performances des agents
publics ?
L’initiative
prend appui sur le constat que les nominations ne se font pas toujours selon le
mérite mais suivant des considérations politiques ou autres. La loi a été
adopté pour résoudre un problème. Elle en contient en effet les outils pour le
faire. Maintenant, est ce que le problème va être résolu avec ce nouveau
dispositif ? Je crois qu’en plus des textes, il faut travailler sur les
hommes. Nous parlions tantôt de
corruption dans les marchés publics ; est ce que c’est parce qu’il n’y a
pas de texte ? Je crois que non. Je lisais l’autre jour, une note de la Primature
relative aux travaux des commissions d’attribution des marchés. Il faut bien
comprendre que cette note n’est pas sortie au hasard, elle a été suscitée par
la volonté de résoudre un problème qui n’est plus un secret pour personne.
Si
les bénéficiaires de ces textes que je considère être les agents et les
organisations syndicales ont été impliqués, s’en sont appropriés et sont prêts
à les défendre quel que soit le régime en place, alors nous venons de remporter
une victoire. Mais si ces bénéficiaires ne se sentent pas concernés par cette
loi, la suite est à voir au prochain épisode avec le retour des hommes
politiques.
Vous quittez la fonction publique après des
dizaines d’années de service. Avez-vous reçu des actes de reconnaissances de
vos actions ?
Oui,
je suis commandeur de l’ordre de l’Etalon. J’ai bénéficié de cinq
décorations : une de l’Ordre de mérite, trois de l’Ordre national et une
médaille des collectivités. C’est parfois un motif de satisfaction mais quand
je lis et j’écoute les observations faites autour de ces marques de distinction,
je me dis qu’il y a certainement des efforts à faire pour que tous ceux qui en
bénéficient les arborent avec plus de fierté. Mais je tiens à exprimer ma
reconnaissance à tous mes collaborateurs qui ont rendu ces distinctions
possibles.
Parlez-nous de des bons et mauvais souvenirs que vous emportez avec vous
L’administration
en général est faite de tout ça : le bon comme le mauvais. Et je crois que
c’est au regard de tout cela que la loi sur la neutralité de l’administration a
été votée. Elle vise à réduire les frustrations endurées par les agents. Je
vais réserver les bons souvenir pour la fin.
Au niveau d’un
des programmes, je garde le mauvais souvenir d’une cérémonie d’inauguration d’une
de mes infrastructures au cours de laquelle toute trace du programme a été
effacée. J’ai toujours cela un peu lourd dans le cœur. Quand les éléphants se
battent, c’est l’herbe qui périt. Ça me fait rebondir aussi sur le PRISE qui
aurait certainement fermé ses portes sans la dynamique nouvelle apportée par le
ministre Aboubacar Nacanabo. J’ai eu ce sentiment que les batailles au PSUT et
au PRISE offraient parfois le paradoxe d’être des combats victorieux dont les
armées n’apparaissaient qu’en demi-teinte. J’ai fini par me demander ce qu’est
la vérité. « Si l'opinion que chacun se forme par la sensation est pour
lui la vérité, si l'impression d'un homme n'a pas de meilleur juge que
lui-même, et si personne n'a plus d'autorité que lui pour examiner si son
opinion est exacte ou fausse (…), si chacun est pour soi-même la mesure de sa
propre sagesse » (Platon), alors qu’est-ce que la vérité ?
Je garde
aussi des souvenirs tristes d’un responsable coutumier qui, après avoir
bénéficié d’un CSPS au niveau de son village, a levé les yeux vers le ciel pour
dire qu’il peut s’en aller maintenant en paix et qui, effectivement, ne s’est
pas réveillé le lendemain.
A la CARFO,
les moments de grandes tristesses ont été nombreux. Les histoires de
fonctionnaires brimés dans leurs carrières, de veuves spoliées après le décès
de leur mari, etc.
En ce qui concerne les bons souvenirs, ils ont aussi été nombreux. Les témoignages de satisfactions des bénéficiaires d’infrastructures, les bénédictions des vieilles personnes constituent de nombreux souvenirs de joie pour moi. Je n’oublierai pas cet appel téléphonique d’un de mes anciens supérieurs hiérarchiques peu après mon départ de la CARFO, et qui me félicitait pour la mission accomplie.
Quelles seront vos prochaines occupations
pendant cette nouvelle vie qui s’ouvre ?
Je m’organise
entre les travaux intellectuels et l’agriculture et l’élevage. Je suis
là-dessus.
Quel conseil donnez-vous à ceux qui viennent
après vous ?
La
vie est faite de choix très difficiles. La vie aussi passe si vite. Nous étions
encore de jeunes fonctionnaires en 1989 ; nous sommes aujourd’hui les plus
vieux qui devons aller nous reposer. On peut tout planifier, mais le véritable
planificateur, c’est le maitre de l’univers. Donnons le meilleur de nous-mêmes
dans nos lieux de travail ; vivons une vie en harmonie avec Sa volonté
afin qu’il fasse de bons plans pour nous et pour notre progéniture.
On vous dit également passionné de lecture.
Quel est le dernier livre que vous avez lu. Et quels enseignements en avez-vous
tirés ?
Actuellement,
je suis sur un livre de Tidiane Diakité : « La traite des Noirs
et ses acteurs africains du XVe au XIXe siècle ». Il aborde la traite
négrière sans complaisance en faisant ressortir les complicités africaines. Si
l'histoire de l'esclavage et celle de la traite des Noirs sont généralement
assez bien connues, leurs dimensions spécifiquement africaines n'ont jamais
fait l'objet d'une étude autonome. Pourtant, elles constituent un des aspects
essentiels de cette histoire. Ce passé permet de comprendre le présent. Dans la
lutte des peuples, il est important de savoir parfois prendre une position qui
facilite l’écriture de l’histoire.
Il a imprimé sa marque dans plusieurs structures de l’Administration publique. Son dernier poste : Coordonnateur du Programme de réalisation des infrastructures socio-économiques (PRISE). Dans cet interview, Olivier Sawadogo, qu’on qualifie « d’homme de principe » et de « très rigoureux dans le travail », a été admis à la retraite le 31 décembre 2022. Nous l’avons rencontré à cette occasion. Dans cette interview, il apporte un regard averti sur certaines questions d’intérêt national.
Vous avez été
admis à la retraite et vous vous apprêtez à quitter vos fonctions. En dehors de
la fonction de coordonnateur du PRISE, quelles sont les fonctions que vous avez
occupées ?
J’ai occupé successivement les fonctions de Directeur
régional de l’Economie et de la planification, Secrétaire permanent des
partenaires du développement rural décentralisé, Secrétaire général du ministère
de l’Economie et du développement, Directeur général de la Caisse autonome de
retraite des fonctionnaire (CARFO), Coordonnateur du Programme socio-économique
d’urgence de la Transition (PSUT), Conseiller Technique et cumulativement
Coordonnateur du Programme de réalisation des infrastructures socio-économiques.
Avez-vous le
sentiment d’avoir bien accompli vos missions ?
La mission du fonctionnaire, c’est d’assurer le service public. Et lorsque celle qui vous a été confiée vous permet d’impacter positivement la vie des populations, vous pouvez rendre grâce à Dieu d’avoir été utile. En ce qui concerne ma fonction au sein du PRISE et du PSUT, j’avais pour mission de contribuer à l’amélioration de l’accès à l’eau potable, à la santé et à l’éducation des populations. C’est au total 152 complexes scolaires, 05 amphithéâtres, 101 CSPS, 295 forages et 05 bâtiments administratifs qui ont été réalisés. En ce qui concerne la CARFO, nous avons travaillé à une véritable mutation de l’institution, ce qui lui vaut la satisfaction des pensionnés. Dans mes différentes missions, j’ai travaillé à laisser à l’usager du service public le souvenir d’un commis qui a donné le meilleur de lui-même pour sa satisfaction pleine et entière. Oui, j’ai le sentiment d’avoir accompli ma mission, tant en ce qui concerne les personnes âgées, les veuves et les orphelins, qu’en ce qui concerne les populations qui étaient en attente des infrastructures relatives aux services sociaux de base.
Où en
sommes-nous aujourd’hui avec le Programme de réalisation des infrastructures
socio-économiques ?
A la date du 31 décembre 2022, le programme affichait à
son actif : 44 CSPS, 76 complexes scolaires, 21 ouvrages de
franchissement, 239 forages positifs, 01 gendarmerie, 02 maisons de la femme et
02 commissariats de police. Le ministre de l’Economie et des finances, M.
Aboubacar Nacanabo, qui vient d’arriver, a décidé de mettre le programme au
cœur de son action.
La situation
sécuritaire a dû ralentir les activités sur le terrain. Comment analysez-vous
cela ?
La situation sécuritaire a effectivement empêché le
programme de se déployer dans toutes les provinces. A ce jour, seul un CSPS et
deux forages ont connu des difficultés d’exécution du fait de cette situation.
Avec votre
départ, qui vous succède à la tête du programme ?
Je cède les rênes du Programme à un collaborateur, M.
Aboubacar Idani. C’est un agent qui connait bien le programme et qui a été à
mes côtés depuis son démarrage. Il n’y a aucun doute que la mission sera
accomplie avec satisfaction.
Il nous
revient que la santé occupe la première place dans le budget du PRISE. Qu’en
est-il de l’éducation et des ouvrages de franchissement ?
La situation au niveau de la santé demande toujours des
efforts de la part de l’Etat. Nos interventions au cours des deux dernières
années représentent plus de 50% du nombre total de CSPS réalisés au cours de la
période, alors qu’au niveau des complexes scolaires, c’est tout juste 23%. Le
domaine de l’eau potable a occupé aussi une grande place.
Avoir de
l’eau potable est en effet une grosse préoccupation des populations. Qu’a fait
le PRISE dans ce sens depuis son démarrage ?
L’option d’investir dans la réalisation des points d’eau
potable s’explique par la volonté d’améliorer l’accès des populations rurales à
l’eau potable.
En effet, le taux d’accès à l’eau potable est passé de
71,9% en 2015 à 76,4% en 2020. C’est dire donc, qu’elles sont encore nombreuses
les populations qui souffrent du manque d’eau potable.
Le programme a réalisé 239 forages et deux mini AEP. Il a
en outre réalisé une retenue d’eau. Certains de ces forages ont été réalisés
dans des endroits où les populations n’avaient que l’eau des marres comme
source d’approvisionnement. Nous avons constaté que la région de la boucle du
Mouhoun et celle du Sud-ouest sont celles qui souffrent particulièrement de problèmes
d’eau.
Par ces infrastructures hydrauliques, le PRISE contribue à créer les conditions de réduction du temps de corvée des femmes rurales, leur donnant ainsi l’opportunité d’envisager des activités génératrices de revenus, facteur de lutte contre la pauvreté et de développement de la résilience.
La
particularité du PRISE, selon plusieurs observateurs, c’est le fait de pouvoir
réaliser des infrastructures de qualité avec des budgets pas si énormes. De
façon concrète, comment vous êtes-vous pris pour parvenir à de tels
résultats ?
Les investissements réalisés par les ministères
sectoriels présentaient deux caractéristiques. Ils sont relativement plus coûteux
et leur rythme de réalisation ne permet pas d’inverser les tendances sociales à
moyen terme. Le PRISE a poursuivi la mission pédagogique d’offrir des
infrastructures dans des délais raisonnables, à moindre coût et surtout de
qualité.
Sur 45 CSPS réalisés, 41 ont un coût inférieur à 200
millions de francs CFA. Les 4 autres dont les coûts sont supérieurs ont été
réalisés dans la région de l’Est. Les coûts des mêmes types d’infrastructures
réalisées ailleurs ont varié entre 210 et 230 millions. Par ailleurs, un effort
de maitrise des charges de fonctionnement a conduit à la constitution
d’une équipe légère de projet, composée de cinq cadres, deux chauffeurs et un
agent de liaison.
Depuis 2021, l’on assiste à un intérêt grandissant de la
part des sociétés d’Etat autour des objectifs poursuivis par le PRISE et
surtout, une volonté de ces acteurs de s’associer au PRISE. Aujourd’hui, il est
agréable de constater l’engagement de la CARFO et de la LONAB aux côtés du
Programme. Ces deux institutions ont choisi, au regard des acquis (qualité,
rapidité, coût), d’apporter leur contribution à la lutte menée sur le terrain
pour le bien-être des populations. Au cours de l’année 2021, la LONAB a financé
la réalisation de 02 CSPS. Pour l’année en cours, elle envisage d’intervenir
pour 04 CSPS et la CARFO 01 CSPS et 01 complexe scolaire.
Quels sont, à
votre avis, les obstacles que vous avez rencontrés dans la conduite du
Programme et qui méritent d’être partagés ?
Le premier obstacle a été l’insécurité. Les programmes de développement sont des choix politiques. La remise en cause consécutive aux changements de régime se traduit parfois par des abandons des choix antérieurs. La naissance du PRISE a été dystocique ; elle s’est imposée par sa pertinence et ses résultats.
Selon nos
reporters qui ont effectué des sorties sur le terrain, les populations de
certaines zones, qui avaient, pendant plusieurs années, le sentiment d’être
abandonnées par l’Etat, ont fortement applaudi les infrastructures réalisées et
souhaité que le PRISE continue dans cette lancée. Que prévoit le PRISE au cours
de l’année 2023 en termes d’infrastructures éducatives, sanitaires, de desserte
en eau potable et de désenclavement de certaines zones rurales ?
Situés à des distances très éloignées de la capitale et
parfois à proximité des pays voisins, certains villages vivaient l’absence de
services sociaux de base comme un abandon. Cela a engendré chez les populations
de ces villages un sentiment de frustration. La réalisation des infrastructures
du PRISE dans ces villages a suscité un sentiment de joie, une réconciliation
retrouvée avec la nation. Pour ce qui est des prévisions de 2023, je ne pourrais
rien dire puisque je m’en vais. Mais le ministre de l’Economie et des finances
a promis de faire jouer un grand rôle au PRISE dans l’effort global actuel de
lutte contre le terrorisme. Il est très sensible aux préoccupations des
populations à la base. Et quand un dirigeant est capable d’empathie, il n’y a
pas de doute que les problèmes de développement trouveront des solutions.
Ce type de programme
avait été initié en 2015. Les infrastructures qui avaient alors été construites
sous l’impulsion du Programme socio-économique d’urgence de la Transition
(PSUT) sont visiblement toujours solides. Vous étiez aux commandes du PSUT. Quels
étaient les fondements de ce projet et quels enseignements avez-vous tiré de
cette expérience ?
Les acteurs de la Transition en son temps voulaient
laisser des traces de leur passage. Ils ont conçu ce programme pour le temps de
leur passage et tenaient à voir son impact sur le terrain. Ils ont visé la
jeunesse, les populations rurales et les Petites et moyennes entreprises (PME).
En une année, beaucoup a été fait (76 complexes scolaires,
05 amphithéâtres, 57 CSPS et 56 forages et des crédits accordés à plus de 3000
jeunes).
De ce projet, je retiens que nous pouvons faire de
grandes choses si nous mettons la volonté.
Peut-on dire
que le PRISE est une continuité du PSUT ?
Non, on ne peut pas dire cela. Le PSUT a réalisé des
complexes scolaires, des CSPS, des forages et a accordé des prêts aux PME. Il a
été conçu en mars 2015 et s’est achevé une année plus tard en 2016, après avoir
réalisé 76 complexes scolaires, 05 amphithéâtres, 57 CSPS et 56 forages. Le
PRISE a démarré en 2019, soit trois ans après la clôture du PSUT. Il s’en est
certainement inspiré en abandonnant le volet prêt et en étendant son domaine
d’action aux bâtiments administratifs et aux ouvrages de franchissement. Mais
tout compte fait, ils se sont complétés. Si je prends la seule année du PSUT et
les deux années du PRISE, cela fait 152 complexes scolaires, 05 amphithéâtres,
101 CSPS et 295 forages. Certains lecteurs ne vont pas probablement percevoir
l’importance de ces chiffres, mais beaucoup de ces infrastructures ont été
réalisées dans des endroits où l’Etat était absent et où certaines populations
faisaient recours aux services sociaux des pays voisins.
Selon vous,
comment peut-on venir à bout de ces besoins sans cesse croissants en
infrastructures sanitaires, scolaires et en eau potable ?
Il faut une volonté politique forte débarrassée des égos
de personnes et des calculs politiques. A ce sujet, je voudrais rappeler que la
principale victime de l’interruption d’un programme est la population pour qui
l’Etat existe. Malheureusement, j’ai pu constater que des problèmes de
personnes et d’égo nous ont parfois fait perdre de vue le sens même de l’Etat.
La dynamique enclenchée par le PSUT, s’il devait se poursuivre, aurait permis à
la date du 31 décembre 2022, la réalisation de 532 complexes scolaires, 35
amphithéâtres, 399 CSPS et 392 forages. Malheureusement, il a été interrompu.
Et le PRISE qui a failli subir le même sort doit sa relance au ministre Aboubacar
Nacanabo. Ce dernier a promis de prendre en compte les personnes déplacées.
Vous aurez certainement l’occasion de voir l’impact de son action malgré les
conditions financières difficiles. Il y a beaucoup de gens qui ne connaissent
pas les réalités dans lesquelles vivent certains de nos compatriotes. Le PRISE
a réalisé des infrastructures dans des localités où on accède par les pays
voisins. Pour la réception de certaines infrastructures du PSUT, des agents ont
failli renoncer à la mission, tant les conditions de voyage étaient
épouvantables. Après soixante ans d’indépendance, nous ne pouvons pas continuer
de trainer avec des maux dont nous pouvons guérir. Les deux programmes que j’ai
eu l’honneur de conduire m’ont permis de réaliser qu’il nous faut juste la
volonté. Une volonté comme celle qui prévaut actuellement dans la lutte contre
le terrorisme et une volonté débarrassée de tout combat de personnes. Nous
pouvons résoudre ces problèmes et nous attaquer à l’industrialisation de notre
économie.
On constate
sur le terrain que les infrastructures du PRISE et du PSUT se distinguent par
leur solidité pendant que depuis ces dernières années, d’autres s’écroulent à
chaque saison pluvieuse. Quel est votre secret et quels sont selon vous les
raisons fondamentales de ces effondrements ?
Nous avons toujours aimé un travail bien fait. Mais
disons que la qualité des infrastructures repose sur trois facteurs : le
maitre d’ouvrage, la structure chargée du suivi-contrôle, l’entreprise et la
population. Pour le maitre d’ouvrage et la structure de suivi-contrôle, il leur
faut juste la rigueur et éviter surtout toute compromission. La compromission
corrompt le jugement et empêche la prise de bonnes décisions. Pour les
populations, il faut travailler à les impliquer dans la réalisation de
l’infrastructure. Il y en a qui sont prêts à tout gâcher s’ils ne sont pas
impliqués. Ils peuvent parfois être à l’origine de l’effondrement d’un bâtiment
et cela, quel que soit la technicité qui a prévalu à sa construction ; ce
n’est pas rationnel, mais c’est une dimension de nos traditions à prendre en
compte. En ce qui concerne l’entreprise, elle est par essence là pour son
profit. Si elle est consciencieuse, c’est bien mais il faut partir de
l’hypothèse qu’aucun crédit ne doit lui être accordé a priori.
Le PRISE comme le PSUT ont été exécutés sous ces
considérations et aussi avec la volonté des acteurs d’écrire leurs noms sur les
bonnes pages de l’histoire de notre pays.
Vous avez
également été conseiller technique du ministre des Finances ; quels sont
les grands dossiers que vous avez traités ?
Les dossiers confiés au conseiller technique sont frappés
du sceau de la confidentialité. Je ne pourrai donc pas vous en parler.
Néanmoins, je peux vous parler de la négociation avec les
partenaires sociaux du Ministère pour sortir le pays de la crise qui prévalait
en 2018-2019. J’ai été la cheville ouvrière des négociations. Ça a été très
difficile mais il fallait trouver un compromis pour que la terre continue de
tourner pour tout le monde. Un proverbe chinois dit que "c'est en voyant
un moustique se poser sur ses testicules qu'on réalise qu'on ne peut pas régler
tous les problèmes par la violence". Il y a beaucoup qui croient
jusqu’aujourd’hui qu’on devait faire usage de la violence. Cette violence
allait accoucher de beaucoup de vices dans la gestion financière de notre pays.
Et ce n’est pas sûr que nous puissions en venir à bout. Mais c’est mon point de
vue et je respecte aussi le point de vue des autres parties. L’essentiel est
fait, le calme est revenu, les partenaires sociaux sont même plus que jamais
déterminés dans la lutte contre la corruption et dans l’amélioration des
performances, en particulier en termes de recettes, qui sont observées
aujourd’hui.
Je saisis l’occasion pour inviter une fois de plus les
autorités du Ministère de l’Economie, des finances et de la prospective à
maintenir le fil du dialogue pour un climat de travail apaisé, gage de
réalisation de bonnes performances. Cela est d’autant plus nécessaire pour un
pays qui cherche à récupérer et sécuriser son territoire.
Vous avez
aussi occupé les fonctions de Directeur général de la Caisse autonome de
retraite des fonctionnaires (CARFO). Les retraités évoquent de réformes que
vous avez apportées. Pouvez-vous nous en parler ?
J’y ai passé 7 ans, 7mois et 7 jours. Entretemps, c’était
gênant. Je rivalisais avec un seul DG en termes de longévité à ce poste. Mais
j’ai fini par « avoir la route » en 2014. Je suis arrivé à un moment
où les délais de traitement des dossiers étaient encore longs. C’était une
jeune institution au milieu de grandes qui composaient la Conférence
interafricaine de prévoyance sociale (CIPRES). En vérité, je ne supportais pas
cette place qui nous était réservée. Nous avons beaucoup travaillé à nous doter
d’un document de stratégie (élaborée en interne) et c’est une fois munis de ce
document que nous avons démarré les reformes : nous avons réduit le délai de
traitement des dossiers de pension à un jour ; nous avons donné
naissance à une coalition de soutien à l’orpheline du fonctionnaire dans
laquelle se retrouvait l’UNFPA, les banques et la CARFO qui accordait des
bourses à ces enfants en difficultés.
Nous avons démarré la mise en œuvre de la loi portant
prise en charges des maladies professionnelles et des accidents de travail ;
nous avons signé des conventions avec les banques ramenant les agios bancaires
des retraités à entre 0 et 100 francs par mois ; nous avons apporté plus
de performance et d’autonomie en matière informatique à l’institution.
En un mot, malgré la faiblesse de nos ressources, nous
nous sommes hissés à la première place en termes de respect des normes CIPRES.
Mais je dois dire que dans un monde fait d’argent, la première place du pauvre ne
vaut que ce qu’elle vaut. Mais nous étions respectés et ça, il le fallait.
Vous quittez
la fonction publique ; qu’est-ce que vous auriez voulu faire que vous
n’avez pas pu faire ?
Pendant que j’étais à la CARFO, j’aurais dû soumettre un
projet de loi qui fixe le taux minimum de pension à 75% ;
Au niveau du PRISE et du PSUT, impliquer les journalistes
et les partenaires sociaux dans la sélection des entreprises.
Il nous
revient aussi que la corruption gangrène l’attribution et l’exécution des
marchés publics. Comment analysez-vous cela ? Et que pensez-vous que
l’on puisse faire pour en venir à bout ?
La corruption se définit en général comme un abus de
pouvoir à des fins personnelles. Il me semble qu’elle est essentiellement une
maladie de la démocratie. J’ai eu la chance de connaitre la période
révolutionnaire et la démocratie qui lui a succédé. Et j’ai fini par me faire
cette conviction que la corruption se trouve dans le
gène même de la démocratie. Le drame est qu’elle a été propagée dans le
reste du pays à travers la décentralisation intégrale. J’ai aussi observé le
peu d’intérêt que les élites corrompues portent à leur peuple. Je perçois la
corruption comme l’effet d’une érosion de nos valeurs. Jusqu'en 1960, l'homme
valait par sa naissance. Tu es de telle famille, on te respecte tel. De 1960
jusqu'en 1990, l'homme valait par ce qu'il est. Tu es honnête, on te respecte
tel et on te donne ta place dans la société. C’est aussi dans cette période que
la révolution est née. À partir de 90, l'homme ne vaut que par l'avoir :
ta place dans la société dépend de combien tu as. Il suffit de tendre l’oreille
pour entendre cette nouvelle vision de notre société. Dans l’imaginaire
populaire, les gens ont cessé de croire en la possibilité de la présence d’un
homme intègre dans notre pays. Pourtant, il en existe et c’est sur ces hommes
qu’il faut s’appuyer pour lutter contre la corruption. Il faut célébrer les
vertus. Je rêve de voir des salles dans chaque ministère abritant les illustres
fonctionnaires et une salle nationale d’illustres fonctionnaires de plus haut
niveau. La Transition donne aujourd’hui l’occasion de voir des hommes qui
aiment leur pays et qui donnent leur vie pour lui. Ils sont sur le terrain et
chaque jour est un bonus pour eux. Dans l’administration aussi, il en existe et
qui font chaque jour des efforts intérieurs pour incarner les valeurs morales.
Toutes ces personnes doivent bénéficier de traitement spécial afin de rediriger
les consciences vers les valeurs de dignité et de probité. Mais il ne faut pas oublier
d’accorder une place importante à la sanction. Mais quand je vois le nombre de
gens qui brûlent les feux tricolores chaque fois que les policiers sont partis,
je me dis qu’il faut cultiver des valeurs en chacun de nous. Du reste, cette
lutte pour moi, consiste à revenir aux fondamentaux sur lesquels il a été
décidé que notre pays s’appellerait Burkina Faso.
Ceci dit, en ce qui concerne les marchés publics, il faut
reconnaitre qu’aujourd’hui, ils sont vus comme un moyen d’enrichissement et non
comme un service ou un bien à fournir à l’administration. Dans le souci de se doter d’infrastructures,
de biens ou de services, le service public se retrouve à assister à une
interminable bataille entre candidats aux marchés publics qui peut prendre
parfois plus d’une année.
Pour ce qui est de la lutte contre la corruption dans les
marchés publics, je ne pense pas que les sanctions ou les textes puissent à eux
seuls, changer quelque chose. Ils ne changeront rien tant que le marché public
est une source d’enrichissement et que la place de l’homme dans la société
dépend de combien il a. Beaucoup pensent qu’il faut changer les textes pour que
tout devienne droit. Non, quels que soient les textes, quelle que soit la
procédure utilisée, le mal sera toujours là tant que l’homme qui est chargé de
la mise en œuvre n’est pas droit. Aujourd’hui, nous constatons que des
habitants de villages vendent de l’essence, des vivres aux terroristes qui les
ont pourtant chassés de leurs villages ; on n’a pas besoin de trop
réfléchir pour comprendre que le mal est profond. Mais parallèlement, nous
avons des gens qui, bien qu’ils voient des hommes tomber chaque jour, se font
enrôler chaque jour au sein des VDP. Il revient à vous, hommes de média et à la
société entière, de savoir quoi faire face à ces deux cas. Pour ma part, je
crois qu’il faut célébrer et promouvoir le bien pour qu’il triomphe sur le mal.
Tous les hommes qui combattent, qui posent des actes héroïques, au front, dans
l’administration, dans notre vie au quotidien doivent être célébrés. Il faut
mettre l’accent principalement sur les trains qui entrent à l’heure pour
obliger le maximum de train à entrer à l’heure ; je crois que c’est ainsi
que nous viendrons à bout de la corruption au sein des marchés publics.
L’Assemblée
législative de la transition (ALT) a adopté récemment une loi relative à la neutralité
de l’Administration. En quoi cela peut-il permettre de booster les performances
des agents publics ?
L’initiative prend appui sur le constat que les
nominations ne se font pas toujours selon le mérite mais suivant des
considérations politiques ou autres. La loi a été adopté pour résoudre un
problème. Elle en contient en effet les outils pour le faire. Maintenant, est
ce que le problème va être résolu avec ce nouveau dispositif ? Je crois
qu’en plus des textes, il faut travailler sur les hommes. Nous parlions tantôt de corruption dans les
marchés publics ; est ce que c’est parce qu’il n’y a pas de texte ?
Je crois que non. Je lisais l’autre jour, une note de la Primature relative aux
travaux des commissions d’attribution des marchés. Il faut bien comprendre que
cette note n’est pas sortie au hasard, elle a été suscitée par la volonté de
résoudre un problème qui n’est plus un secret pour personne.
Si les bénéficiaires de ces textes que je considère être
les agents et les organisations syndicales ont été impliqués, s’en sont
appropriés et sont prêts à les défendre quel que soit le régime en place, alors
nous venons de remporter une victoire. Mais si ces bénéficiaires ne se sentent
pas concernés par cette loi, la suite est à voir au prochain épisode avec le
retour des hommes politiques.
Vous quittez
la fonction publique après des dizaines d’années de service. Avez-vous reçu des
actes de reconnaissances de vos actions ?
Oui, je suis commandeur de l’ordre de l’Etalon. J’ai
bénéficié de cinq décorations : une de l’Ordre de mérite, trois de l’Ordre
national et une médaille des collectivités. C’est parfois un motif de
satisfaction mais quand je lis et j’écoute les observations faites autour de
ces marques de distinction, je me dis qu’il y a certainement des efforts à
faire pour que tous ceux qui en bénéficient les arborent avec plus de fierté.
Mais je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous mes collaborateurs qui ont
rendu ces distinctions possibles.
Parlez-nous de des bons et mauvais souvenirs que vous emportez avec vous
L’administration
en général est faite de tout ça : le bon comme le mauvais. Et je crois que
c’est au regard de tout cela que la loi sur la neutralité de l’administration a
été votée. Elle vise à réduire les frustrations endurées par les agents. Je
vais réserver les bons souvenir pour la fin.
Au niveau d’un
des programmes, je garde le mauvais souvenir d’une cérémonie d’inauguration d’une
de mes infrastructures au cours de laquelle toute trace du programme a été
effacée. J’ai toujours cela un peu lourd dans le cœur. Quand les éléphants se
battent, c’est l’herbe qui périt. Ça me fait rebondir aussi sur le PRISE qui
aurait certainement fermé ses portes sans la dynamique nouvelle apportée par le
ministre Aboubacar Nacanabo. J’ai eu ce sentiment que les batailles au PSUT et
au PRISE offraient parfois le paradoxe d’être des combats victorieux dont les
armées n’apparaissaient qu’en demi-teinte. J’ai fini par me demander ce qu’est
la vérité. « Si l'opinion que chacun se forme par la sensation est pour
lui la vérité, si l'impression d'un homme n'a pas de meilleur juge que
lui-même, et si personne n'a plus d'autorité que lui pour examiner si son
opinion est exacte ou fausse (…), si chacun est pour soi-même la mesure de sa
propre sagesse » (Platon), alors qu’est-ce que la vérité ?
Je garde
aussi des souvenirs tristes d’un responsable coutumier qui, après avoir
bénéficié d’un CSPS au niveau de son village, a levé les yeux vers le ciel pour
dire qu’il peut s’en aller maintenant en paix et qui, effectivement, ne s’est
pas réveillé le lendemain.
A la CARFO,
les moments de grandes tristesses ont été nombreux. Les histoires de
fonctionnaires brimés dans leurs carrières, de veuves spoliées après le décès
de leur mari, etc.
En ce qui
concerne les bons souvenirs, ils ont aussi été nombreux. Les témoignages de
satisfactions des bénéficiaires d’infrastructures, les bénédictions des
vieilles personnes constituent de nombreux souvenirs de joie pour moi. Je
n’oublierai pas cet appel téléphonique d’un de mes anciens supérieurs
hiérarchiques peu après mon départ de la CARFO, et qui me félicitait pour la
mission accomplie.
Quelles
seront vos prochaines occupations pendant cette nouvelle vie qui s’ouvre ?
Je m’organise entre les travaux intellectuels
et l’agriculture et l’élevage. Je suis là-dessus.
Quel conseil
donnez-vous à ceux qui viennent après vous ?
La vie est faite de choix très difficiles. La vie aussi passe si vite. Nous étions encore de jeunes fonctionnaires en 1989 ; nous sommes aujourd’hui les plus vieux qui devons aller nous reposer. On peut tout planifier, mais le véritable planificateur, c’est le maitre de l’univers. Donnons le meilleur de nous-mêmes dans nos lieux de travail ; vivons une vie en harmonie avec Sa volonté afin qu’il fasse de bons plans pour nous et pour notre progéniture.
On vous dit
également passionné de lecture. Quel est le dernier livre que vous avez lu. Et
quels enseignements en avez-vous tirés ?
Actuellement, je suis sur un livre de Tidiane
Diakité : « La traite des Noirs et ses acteurs africains du XVe
au XIXe siècle ». Il aborde la traite négrière sans complaisance en
faisant ressortir les complicités africaines. Si l'histoire de l'esclavage et
celle de la traite des Noirs sont généralement assez bien connues, leurs
dimensions spécifiquement africaines n'ont jamais fait l'objet d'une étude
autonome. Pourtant, elles constituent un des aspects essentiels de cette
histoire. Ce passé permet de comprendre le présent. Dans la lutte des peuples,
il est important de savoir parfois prendre une position qui facilite l’écriture
de l’histoire.