Les autorités burkinabè sont
bien informées de la situation: sept gendarmes, capturés par des terroristes
lors de l’attaque du détachement de gendarmerie de Inata (province du Soum) en
novembre 2021, sont détenus dans la région de Tillabéry, à environ 200
kilomètres de Niamey, la capitale du Niger. Le Président Damiba a déployé, via
les services de renseignements, des émissaires dans la zone. Ils ont rencontré
les représentants des ravisseurs le 23 juillet dernier. Mais l’Etat traîne à
céder aux propositions des terroristes.
Il y
a une lueur d’espoir: sept des gendarmes portés disparus, depuis le 14 novembre
2021, suite à l’attaque du détachement de gendarmerie de Inata, sont en vie.
C’est du moins ce qui transparait dans une vidéo d’environ 5 minutes,
présentée, le 23 juillet, à la délégation chargée de prendre langue avec les
terroristes. Les envoyés de l’Etat burkinabè, rejoints par un Officier de
renseignement nigérien, ont été conduits par un Conseiller spécial de la
présidence du Niger, qui jouit, dit-on, d’une «très bonne réputation» aux yeux
de certains groupes terroristes. Une «tête brûlée», objet de plusieurs mandats
d’arrêt internationaux jamais exécutés, mais qui s’est montrée, de par le
passé, très utile aux côtés du Burkina, dans la libération d’otages
occidentaux. C’était pendant les moments de gloire du Président Blaise
Compaoré. Il s’était prêté, à plusieurs reprises, au même exercice, à la demande
du Mali et du Niger. La rencontre du 23 juillet dernier, qui a duré quatre
heures, selon des sources militaires bien avisées, a permis d’examiner trois
sujets majeurs.
D’abord
«la preuve» que les sept gendarmes sont en vie. Car, bien avant, les ravisseurs,
qui se font appeler «les éléments du Macina», affiliés au groupe Ansarul Islam
et au GSIM, avaient fait parvenir aux autorités burkinabè, par des canaux
détournés, les identités de sept gendarmes qu’ils détiendraient au Niger. «Sans
préciser le lieu de détention exact», indique une source militaire. Ces
identités avaient été confirmées par les Services de renseignement burkinabè.
Les premiers contacts avaient alors été noués grâce à des intermédiaires. Et
cette fois, il fallait montrer patte blanche. La délégation s’attendait à ce
qu’on la conduise jusqu’aux détenus, à Ayorou, une zone située dans la région
de Tillaberry. Mais elle n’obtiendra pas gain de cause. La situation
sécuritaire serait particulièrement tendue dans cette localité, selon les
envoyés des groupes terroristes. Des combats y opposent terroristes et troupes
nigériennes. Il y avait donc de gros risques à s’y aventurer. Le lieu,
initialement prévu pour le rendez-vous, a donc été décalé. La délégation
conduite par le Conseiller spécial a finalement rencontré les représentants des
ravisseurs, venus en hélicoptère, à plusieurs kilomètres d’Ayorou. Ces derniers
avaient, dans leur baluchon, une preuve importante. Convaincus que cela allait
créer le déclic nécessaire aux yeux des émissaires de l’Etat burkinabè,
appuyés, pour la circonstance, par des éléments «stratégiques» de l’Etat
nigérien.
Ils
ont donc procédé au déballage. Une vidéo au contenu très évocateur. Selon les
notes de mission transmises aux autorités burkinabè, on y aperçoit les sept
gendarmes, à genoux, les mains ligotées, habillés en tenue militaire burkinabè.
Derrière eux, des ravisseurs armés et enturbannés. On aperçoit également une
banderole contenant des écritures en arabe. L’un des gendarmes, qui a le grade
d’Adjudant (dont nous taisons l’identité pour le moment), parle au nom des
autres. Il implore les autorités militaires et politiques du Burkina de tout
mettre en œuvre pour leur libération. De payer la caution exigée par leurs
geôliers. Mais il ne précise aucun montant. La délégation, qui espérait
repartir avec cette vidéo pour la présenter, à Ouagadougou, aux initiateurs de
la mission, n’aura pas si facilement cette occasion. Les représentants des
ravisseurs ont posé des «conditions fermes» selon des sources qui suivent de près
l’évolution du dossier. Pour récupérer la vidéo, il fallait débourser 5
millions de francs CFA. La délégation n’avait pas prévu cette éventualité. Elle
espérait être conduite jusqu’aux otages afin d’effectuer un constat physique et
établir ainsi qu’il s’agissait bien d’eux. Pour tirer la situation au clair,
elle entre en contact avec Ouagadougou afin de prendre conseils.
Mais
les autorités burkinabè trainent le pas. Cherchant sans doute la bonne formule.
Car, en réalité, les terroristes ont mis sur le tapis, après négociations,
d’autres exigences. Relatives, cette fois, à la libération des otages :
«20 millions de francs CFA à payer par tête», indique une source sécuritaire.
Donc au total 140 millions FCFA pour débarrasser les sept gendarmes des griffes
des terroristes. Et même plus, si l’on inclut les 5 millions pour la vidéo, les
frais d’hôtel de la délégation (qui a séjourné à Bravia Hôtel au Niger), les
billets d’avion et ce que les négociateurs vont devoir empocher pour cette
mission à hauts risques. Les autorités burkinabè vont-elles donner suite
favorable aux exigences des terroristes ? Jusqu’au moment où nous
bouclions cette édition, l’Etat ne s’était pas engagé à payer les frais
nécessaires à la libération des otages. Arguant que la mission avait pour but,
dans un premier temps, «d’obtenir les preuves de vie des gendarmes et recevoir
les propositions des terroristes».
Selon
nos sources, un autre point majeur était à l’ordre du jour de la rencontre du
23 juillet. Les représentants des terroristes, au nombre de quatre, ont exposé
les conditions d’un cessez-le-feu au Burkina Faso. Une façon de dire à la
délégation qu’il était possible de mettre fin au terrorisme. Mais pas à
n’importe quelles conditions. Selon le débriefing fait par les membres de la
mission, les terroristes ont proposé que l’Etat burkinabè leur verse, chaque
année, 1,2 milliard de francs CFA afin de sceller le «pacte de non-agression».
Cette proposition serait en étude dans les hautes sphères de la Présidence du
Faso. Le chef de l’Etat, le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba,
va-t-il opter pour cette voie ? Question à multiples inconnues. Les
gendarmes, eux, sont toujours aux mains des terroristes.
Mais
pas seulement eux. Un autre otage, Suellen Tennyson, une religieuse de nationalité
américaine, enlevée dans la nuit du 4 au 5 avril 2022, serait aux mains des
mêmes ravisseurs. Cette dame, âgée de 83 ans, officiait à la paroisse de Yalgo
(région du Centre Nord) depuis 2014. «Membre de la congrégation des Sœurs
Marianites de Sainte-Croix», avait précisé un communiqué daté du 5 avril 2022,
émanant du diocèse de Kaya. Les hommes armés qui l’ont enlevée «pour une
destination inconnue», avaient vandalisé des salles du diocèse et saboté un
véhicule de cette communauté religieuse. Selon des sources proches des
négociateurs, elle apparait dans une autre vidéo, présentée par les ravisseurs,
assise sur un semblant de chaise, mais elle n’avait pas les mains ligotées. A
ses côtés, des ravisseurs armés et enturbannés. Selon nos sources, elle
s’exprime en anglais. Mais une traduction a été faite sur place pour s’assurer
que les différents protagonistes sont au même niveau de compréhension. A
l’image des gendarmes, elle implore le gouvernement américain et sa famille
d’œuvrer sans relâche à sa libération. Là aussi, une rançon aurait été fixée.
Il s’agit, selon des sources proches du dossier, de un millions de dollars US.
Les envoyés de l’Etat burkinabè ne sont pas non plus revenus à Ouagadougou avec
cette deuxième vidéo. Pour le moment, le dossier semble avoir été mis en
«stand-by» alors qu’il y a urgence. Les sept gendarmes apparaissent dans la
vidéo dans un état préoccupant, indiquent nos sources. Les négociateurs
attendent en vain, depuis le 23 juillet, l’Acte 2 de la mission qui pourrait être
celui de la délivrance pour les otages. Mais «c’est le calme plat». Et cela
inquiète de plus en plus ! Surtout que les otages sont dans un état
sanitaire préoccupant.
L’attaque
du détachement de gendarmerie de Inata, qui aurait été menée, selon des sources
sécuritaires, par des combattants de Ansarul Islam, un groupe terroriste
affilié au GSIM, a été l’une des plus meurtrières perpétrées contre les Forces
de défense et de sécurité burkinabè. Selon le décompte officiel, il y a eu 53
morts : 49 gendarmes et 4 civils. Plusieurs portés disparus également.
Deux
jours avant l’attaque, le chef du détachement, le Lieutenant Sékou Ahmed Sanon,
avait lancé un ultime appel à ses supérieurs hiérarchiques. Il a sollicité, en
vain, une «provision alimentaire» pour son équipe alors complètement démunie.
Son message, adressé au Commandant du Groupement des Forces du Secteur Nord,
avec ampliation au Chef d’Etat-Major de la gendarmerie nationale, et d’autres
hauts responsables de ce corps, traduit un véritable cri de détresse:
«Détachement en rupture totale de provision alimentaire», «besoin urgent
ravitaillement en vivres»… Deux semaines avant, le 27 octobre, il avait lancé
une première alerte, tellement la situation était intenable. Mais il n’y a eu
aucune suite. Jusqu’à ce que l’attaque se produise le 14 novembre.
«Non-assistance à personnes en danger», avait affirmé, catégorique, un stratège
militaire. Les gendarmes détenus par les terroristes au Niger connaitront-t-il
le même sort ? «ça ne bouge pas vraiment du côté de Kosyam», nous-t-on
soufflé.
Par Hervé D’AFRICK
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A quand la publication du
rapport sur le drame d’Inata ?
L’affaire
tient en haleine l’opinion publique depuis novembre 2021. Un premier rapport
d’enquête administrative, réalisé par l’Inspection générale des Armées, a été
rejeté par le Président d’alors, Roch Kaboré. Sans qu’on sache vraiment la
raison. Y avait-il, dans ce document très sensible, des incohérences ?
Certains points étaient-ils susceptibles de mettre à nu la part de responsabilité
du chef de l’Etat ? De hauts gradés des Forces de défense et de sécurité
ont-ils tenté de se couvrir au regard de la gravité des faits ? Ces
questions sont à la recherche de réponses pour le moment introuvables. Le
parquet militaire a initié des poursuites contre X pour «mise en danger de la personne d’autrui, abstention de porter
assistance à une personne en péril, refus d’obéissance et toute infraction»
que l’enquête viendrait à révéler. L’instruction est en cours depuis le 11
janvier 2022. Dans un communiqué publié le 24 février, le Procureur militaire
indique que «certains militaires de la gendarmerie nationale ont déjà été
entendus». Le grand absent, pour le moment, est le chef du détachement au
moment des faits, le Lieutenant Cheick Ahmed Sanon. Il est porté disparu depuis
l’attaque. Le rapport d’enquête administrative peut-il être solide sans son
témoignage ? Le rapport, tant attendu, a été bouclé. On attend de voir ce
que dira le juge. Affaire à suivre donc.
H. D
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La transaction peut-elle
garantir la paix ?
Les
ravisseurs proposent à l’Etat de leur verser, chaque année, 1, 2 milliard de
francs FCFA. Cette option est-elle la bonne ? Le Mali s’était engagé, il y
a quelques années, dans la voie de la transaction. Avec, à l’appui, une
libération de près de 200 prisonniers terroristes. Mais après avoir fêté leur
liberté, ces derniers avaient tourné, à nouveau, leurs canons contre l’Etat
malien. Et même au Burkina, il y a eu des négociations pour une trêve en 2020.
Il y a même eu des libérations de prisonniers. Et des fonds transmis aux
groupes terroristes selon des sources militaires de premier rang. Cela a permis
la tenue, sans trop de couacs, des élections présidentielles et législatives.
Mais ce n’était pas pour une longue durée. Les attaques se sont intensifiées à
partir du mois d’avril 2021. L’option de la transaction peut ainsi permettre
une accalmie mais généralement de courte durée comme cela l’a été dans
plusieurs pays qui ont emprunté cette voie. De plus, «les éléments du Macina»,
affiliés au GSIM, ne sont pas le seul groupe terroriste qui opère sur le
territoire burkinabè. Par contre, il est impératif de libérer les gendarmes
actuellement entre les griffes des ravisseurs et dont la situation sanitaire
serait préoccupante. Le dernier mot revient au chef de l’Exécutif. Que fera le
Lieutenant-Colonel Damiba ?
H. D