Ce n’est pas une première. Le
Burkina a déjà participé à deux rounds de négociations avec les terroristes en
2020. Précisément avec des responsables du Groupe de soutien à l’Islam et aux
musulmans (GSIM). C’est le principal groupe terroriste qui sévissait dans notre
pays. Ce n’était pas très beau mais on a osé. Les autorités de l’époque, le
Président Roch Marc Christian Kaboré, et certains de ses ministres ont cherché
absolument à cacher l’information. «Nous ne négocions pas avec les
terroristes», clamaient-ils. Ou alors, ils disaient «Il y a des approches mais
nous ne négocions pas». Et pourtant, des émissaires ont participé, au nom de
l’Etat burkinabè, à la première phase de négociations en octobre 2020.
Selon des sources proches des Services de renseignement, ce premier round avait pour but de permettre la tenue, sans perturbation, des élections présidentielle et législatives de novembre 2020. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Aucune attaque visant le dispositif électoral. Le deuxième round a eu lieu fin décembre 2020. Le Président Kaboré avait besoin d’une gouvernance paisible pendant les six premiers mois après son élection. Il voulait donner un signal fort. Dans son agenda, il avait inscrit un forum de réconciliation nationale. Le forum n’a pu finalement se tenir. Mais le schéma convenu avec le GSIM était bien en marche. Les choses se sont déroulées comme prévu. Il y a eu des attaques perpétrées par d’autres groupes mais de faible ampleur. La situation s’est dégradée surtout à partir du mois d’avril 2021. Et la raison est connue : les deux premiers points du pacte ont été respectés : non-agression entre forces burkinabè et terroristes, libération par le Burkina d’une trentaine de prisonniers proches des groupes terroristes, jusque-là détenus à la prison de haute sécurité. Mais il y a eu des grains de sable dans l’application du 3e point. Selon des sources militaires, proches des services de renseignement, il était prévu que des fonds soient transmis au GSIM. Mais les porteurs de valises ont dû «capter» une partie. Officiellement, c’était pour alimenter un réseau composé d’intermédiaires qui n’étaient pas prévus dans le schéma initial. Mais dans les coulisses, on apprend que les fonds ponctionnés se sont réfugiés dans les poches des porteurs de valises. Mettant, du coup, à rude épreuve, la situation nationale déjà délétère. Les attaques ont alors repris, avec intensité.
Et voilà que le nouveau Président, issu du putsch de janvier 2022, le
Lieutenant-Colonel Paul Henri Damiba annonce les couleurs. Cette fois, il parle
de dialogue et non de «négociation». Mais en réalité, face aux groupes
radicaux, l’un ne peut se passer sans l’autre. Des interrogations
subsistent cependant: que faut-il négocier ? Par qui ? Avec qui ? Comment
? Pour certains, il faut négocier la paix, mais à quel prix ? Le contexte n’est
plus vraiment le même ; les motivations des hommes en armes varient. Pour
trouver un terrain d’entente, il faudra tenir compte de ces motivations.
Certains sont des radicaux, convaincus de se battre pour une cause
spirituelle ; d’autres le font pour de l’argent. D’autres encore par soucis
de vengeance souvent suscitée par certains évènements comme le drame de Yirgou.
Concilier ces intérêts est quasiment impossible. Mais convaincre certains
de déposer les armes apportera, à coup sûr, une bouffée d’oxygène pour le pays.
Selon des sources militaires bien au parfum du dossier, cela va réduire
considérablement le nombre de terroristes et rendre la lutte plus efficace avec
une stratégie bien étudiée.
Certains noms, comme celui de Djibril Bassolet, circulent dans les premiers
cercles des acteurs de la Transition. Il est très ami, dit-on, à Moustapha
Chaffi, l’ancien conseiller du Président Compaoré, aujourd’hui conseiller à la
présidence du Niger. Chaffi est très en contact avec certains groupes et sa
contribution pourra également être utile «pour des discussions globales avec le
haut niveau des groupes en action au Sahel et au Sahara», confie un Officier de
l’Armée. Bassolet a, dit-il, «ses réseaux et sa vision de la chose, mais semble
être limité dans ce qu’il pourra entreprendre pour le retour de la paix car il
n’a aucune fonction officielle». Pour pouvoir être entendu des groupes armés, «il
faut plus qu’un réseau, il faut des garanties et c’est ce qui justifie la
nomination de Moustapha Chaffi comme conseiller spécial du président nigérien».
D’ailleurs, depuis cette nomination et le travail souterrain qui a été effectué,
la situation sécuritaire au Niger s’est considérablement améliorée. Il pourrait
donc faire équipe avec Djibril Bassolet et certains éléments de l’Agence
nationale de renseignement. Et deux autres acteurs qui ont déjà participé à
certaines concertations. Bassolet serait l’un des Joker de la diplomatie
souterraine du pouvoir actuel. Mais il y a un problème. Les actions au sommet n’impacteront
pas certains groupes «isolés et indisciplinés». Et qui «ne répondent pas des
grands groupes terroristes».
Selon nos sources, l’identité d’un autre acteur a souvent été évoquée dans les cercles du pouvoir MPSR : Ibrahima Maiga. Natif du sahel, «avec un large réseau de connaissances au niveau communautaire», il aurait, durant son séjour au Burkina, initié des contacts avec des leaders communautaires influents. Selon certaines indiscrétions, après l’arrivée du MPSR aux affaires, certains groupes avaient même accepté d’observer un mois de cessez-le-feu unilatéral afin de connaitre les intentions du nouveau pouvoir. Une source proche du MPSR confie, à ce sujet, que «sa vision consistait à donner une chance à ceux qui ont rejoint les rangs des groupes terroristes par soucis de vengeance et par appât du gain». Et c’est d’ailleurs ce qui justifie son apparition sur la photo officielle prise lors de la prestation de serment du Président Damiba. «Sa présence aux côtés des leaders du MPSR s’inscrivait dans le sens de la mise en confiance de ses interlocuteurs, notamment pour leur faire comprendre que la démarche était sincère et qu’il pouvait parler à qui de droit», nous a-t-on confié. Nous l’avons contacté pour en savoir davantage, mais il n’a pas souhaité s’exprimer pour le moment.
Les autres acteurs des négociations sont des leaders et des associations
communautaires. Ils ont joué, à plusieurs reprises, le rôle de facilitateurs
entre les groupes armés et l’État. Mais leur approche a des limites. Ils ont
une influence géographiquement limitée. Mais ils ont déjà fait leur
preuve : il arrive en effet que ces acteurs négocient la libération
d’otages et la levée de blocus. De même que l’installation et la maintenance de
forage dans des zones sous occupation terroriste.
L’échec des négociations entreprises au Mali et l’expérience vécue par le
Burkina en 2020 suscitent cependant une question essentielle : négocier
est-il vraiment la bonne solution ? La réponse, c’est un Officier de l’armée,
bien renseigné sur les groupes terroristes, qui la donne : «Négocier n’est
pas forcément la bonne. Mais discuter est un bon début pour savoir si la
négociation est ce qu’il faut. Il faut aussi éviter l’amalgame car si on peut
parler d’échec des négociations au Mali, dans le cas du Burkina, c’est une
autre histoire. Au Burkina, ce qui avait été négocié, c’était l’organisation
des élections et non le retour de la paix. Cette démarche avait été faite de
façon ciblée dans des zones spécifiques du sahel. Les discussions peuvent
aboutir à des négociations. Et si ce qui est négocié est le retour à la
quiétude, autant s’en réjouir. Les résultats obtenus par le Niger indiquent
qu’un retour à la paix ou, du moins, à l’accalmie est possible s’il y a de
bonnes approches». Le schéma MPSR réussira-t-il à générer des résultats concrets ?
En la matière, 1+1 ne font pas forcément 2. C’est une équation à multiples
inconnues.
Par Sandra JOLY