Le tribunal militaire de
Ouagadougou a condamné à perpétuité, le 6 avril dernier, le trio Compaoré-Diendéré-Kafando
dans le dossier relatif à l’assassinat, le 15 Octobre 1987, du président Thomas
Sankara et de douze de ses compagnons. Ce verdict est tombé comme un couperet
sur la tête de ces célèbres accusés et de leurs partisans. Ils ne comprennent
pas pourquoi le tribunal a été « si
sévère », surtout que l’accusé Gilbert Diendéré, présenté par ses
supporters comme « l’homme le
plus renseigné » de l’Afrique de l’Ouest, dit qu’il ne « sait rien de rien » sur
l’assassinat le plus marquant de l’histoire politique africaine.
De
la phase d’enquête de l’affaire jusqu’à la barre du tribunal militaire,
l’accusé Gilbert Diendéré a maintenu sa ligne de défense : il ne savait
rien du complot ayant abouti à l’assassinat du Président Thomas Sankara le 15
Octobre 1987. Il ne savait rien des préparatifs du complot. Il ne connaissait
ni les commanditaires ni les exécutants. Il a été surpris par l’acte posé dans
l’enceinte du Conseil de l’Entente dans l’après-midi du 15 octobre 1987. Ce
n’est qu’après la forfaiture qu’il a pu savoir l’identité de seulement deux
assaillants, à savoir Maiga Hamidou Paté et Nabié N’sony. Là aussi, c’est parce
qu’il les a vus sur la scène du crime. Il aurait parlé avec eux et ce sont ces
derniers qui auraient avoué leur participation à l’assaut contre « le
bâtiment Burkina » dans lequel Sankara était en réunion avec ses
collaborateurs. Il a aussi pu savoir quelques temps après, que l’adjudant
Hyacinthe Kafando ferait partie du commando meurtrier et serait même leur chef.
Trente-quatre (34) ans après, le lieutenant Diendéré au moment des faits est
devenu, entre-temps, Général de brigade. Ses supporters disent depuis des
années qu’il serait « l’homme le
mieux renseigné du Burkina, sinon de la sous-région ». Ils font
campagne pour qu’il soit libéré afin de participer à la lutte anti-terroriste
sous ce prétexte. Même si ce mythe construit de toutes pièces n’a pas empêché
que « l’homme le mieux renseigné du
pays » soit pris dans les écoutes lors de son coup d’Etat foiré de
septembre 2015, ses partisans continuent de le brandir. Les Burkinabè
s’attendaient alors qu’il dise ce qu’il a pu au moins réunir comme informations
sur l’assassinat de leur président le 15 octobre 1987. Non pas pour s’accuser
mais pour la manifestation de la vérité. Mais sur les événements du 15 Octobre
1987, il ne sait toujours pas grand-chose sur les circonstances de l’assassinat
du Président du Faso, sur les auteurs et encore moins sur les commanditaires, à
part ce que Maiga et Nabié (tous décédés) lui avaient dit le 15 Octobre 1987.
Il ne connait toujours pas les commanditaires et tous les exécutants. Il ne
sait pas qui a ordonné d’enlever les corps de Sankara et de ses compagnons et
d’aller les enterrer au cimetière de Dagnoen dans la nuit du 15 Octobre. Il
pense, sans être formel, que c’est le commandant Lingani (tué en septembre 1989
avec Henri Zongo et d’autres officiers pour tentative de coup d’Etat), le commandant
en chef du Haut commandement de l’armée à l’époque, à qui il aurait rendu
compte de ce qui s’est passé au Conseil. Il ne sait pas non plus qui a tué le
lieutenant Michel Koama, le chef de corps de l’Escadron des transports et
d’intervention rapide (ETIR) basé à Kamboinsin. Il ne sait pas qui a envoyé des
troupes à Koudougou tuer froidement onze (11) militaires dont quatre officiers (les
lieutenants Elysée Sanogo et Daniel Keré, les sous lieutenants Ki Bertoa et
Jonas Sanou). Là aussi, il pense que c’est Lingani qui aurait donné l’ordre de
réduire le Bataillon d’intervention aéroporté (BIA) basé à Koudougou et
commandé à l’époque par un des fidèles de Thomas Sankara, le capitaine Boukary
Kaboré dit le Lion. Sur la mort du lieutenant Sigué Askia Mohamed Vincent (le
commandant de la Force d’intervention du ministère de l’administration
territoriale et de la sécurité (FIMATS), le 16 octobre 1987 à la frontière
ghanéenne, il affirme, 34 ans après, qu’il n’en sait rien. Il en est de même de
nombreux autres exécutions de militaires et de civils qui ont suivi
l’assassinat du président Sankara (le major Koné, le sergent Moussa Diallo,
Seydou Bancé, etc.). Sur les nombreuses arrestations et détentions de
militaires et de civils supposés proches de Thomas Sankara, le tribunal n’a pas
non plus eu d’éclairage avec l’accusé Diendéré qui a juré qu’il n’en savait
rien, même lorsque ces personnes étaient détenues pendant des mois, voire des
années, dans la caserne sous sa responsabilité. Mais pour le Général Diendéré,
tout cela est une vue d’esprit des gens. Il n’était même pas là quand Sankara
et ses camarades étaient criblés de balles dans l’enceinte la plus sécurisée du
Burkina à l’époque.
« Je n’étais pas au
Conseil au moment des faits »
Devant
la barre du tribunal, la ligne de défense du Général Diendéré a été qu’il
n’était pas présent à l’intérieur du Conseil de l’Entente, le lieu du crime, au
moment des faits. Il soutient mordicus qu’il était hors du Conseil, en train
d’aller au terrain de sport de l’Ecole nationale d’administration et de
magistrature (ENAM) quand les coups de feu ont éclaté. Il aurait rebroussé
chemin pour retourner dans la caserne. Il serait arrivé trouver que le
président Sankara et ses compagnons avaient été tués. Le trajet entre l’ENAM et
le Conseil lui aurait pris tout au plus cinq minutes. C’était sa principale
ligne de défense sur laquelle il s’est accroché jusqu’au bout. Or, de nombreux
témoignages directs et indirects le contredisent. Le témoignage du
colonel-major Gambo Sibidou Leonard, à l’époque lieutenant et commandant de
compagnie au Conseil, donc un des adjoints de Diendéré, est une bombe contre la
thèse de l’accusé. Devant le juge d’instruction tout comme à la barre du
tribunal, le colonel-major Gambo réitère qu’il a parlé à son chef Gilbert
Diendéré moins de cinq minutes avant les premiers coups de feu. Mieux, quand
les tirs étaient nourris, il l’a croisé dans les escaliers de son bureau
lorsqu’il descendait pour s’enquérir de la situation. « Entre temps, aux environs de 16h, 16 heures
30, alors que j’étais concentré sur la préparation de mon cours, j’ai entendu
les premières rafales que j’avais d’abord prises pour un incident de tir. Quand
les tirs ont repris quelques minutes plus tard, je me suis précipité en bas
pour voir ce qui se passait. J’ai rencontré mon chef Diendéré Gilbert qui m’a
dit que l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR) se préparait à
monter sur nous et m’a instruit de prendre les dispositions prévues en
pareilles situations. En ce moment, des tirs s’entendaient de toutes parts,
aussi bien à l’intérieur du Conseil que du côté de la Présidence du Faso. »
Ce témoignage précis et factuel n’est pas le seul qui vient battre en brèche la
thèse du Général Diendéré. Un sous-officier du nom de Kongo Inoussa a révélé
qu’il marchait côte à côte avec son chef Gilbert Diendéré à l’intérieur du
Conseil quand les coups de feu ont éclaté : « Etant au Conseil, j’ai vu le cortège du regretté Président rentrer.
Quelques temps après, j’ai vu le lieutenant à l’époque Dienderé Gilbert sortir
de quelque part dans les salles, lever la main et appeler… Arrivé au niveau du
lieutenant Dienderé, il a continué d’avancer en direction du bâtiment où se
trouvait le trésorier Konari Dramane, en appelant le regretté Sawadogo Charles.
Je me suis retourné le suivre en marchant. On était deux, côte à côte avec lui,
on marchait et on rentrait dans le bâtiment. Il nous a dit : la situation
est gâtée. L’ordre a été donné de nous attaquer. J’ai rétorqué que : qui
va nous attaquer ? Ce n’est pas le Président qui vient de rentrer ?
Il a dit oui. J’ai demandé qu’on aille le voir. On avait commencé à aborder les
premières marches de l’escalier du bâtiment. Il a dit que ce n’est plus
possible. En même temps, on a entendu les coups de feu. » Confronté à
Diendéré, Kongo Inoussa déclare : «Oui,
je confirme les termes de cette déclaration. Je l’ai dit et je confirme. Je ne
suis pas dans les secrets des dieux, à moins que mon chef ait été informé au
préalable, quand les coups de feu ont commencé, j’étais avec lui. »
Des coups de fil
compromettants
Un
autre témoin et non des moindres, le colonel-major Moussa Diallo, commandant le
5e Groupement de Gendarmerie à Ouagadougou au moment des faits, affirme :
« Le 15 octobre 1987 dans l’après-midi,
j’étais dans mon bureau dans l’enceinte de la cour de l’Etat-major de la
Gendarmerie. J’avais reçu la visite d’un collègue nigérien du nom de Ganda
Moussa, également promotionnaire de Gilbert Diendéré aussi bien à l’Ecole
préparatoire de Saint Louis qu’à Saint Syr. Il voulait parler à Gilbert
Dienderé. J’ai appelé le standard du Conseil qui m’a passé Dienderé Gilbert.
Nous avons conversé brièvement et je lui ai passé Ganda Moussa. Ils n’ont pas
eu le temps de converser, la communication s’est coupée. Quand j’ai rappelé,
j’ai eu le standardiste qui m’a dit : mon lieutenant, ici ça tire, je ne
peux pas vous passer, je suis sous la table. Je me suis levé, je suis rentré
chez moi, prendre mon fusil kalachnikov, mon véhicule et je me rendais au Conseil
pour comprendre. » Malgré ces nombreux témoignages non exhaustifs,
l’accusé Diendéré est resté sur la dénégation. « C’est peut-être plusieurs personnes, mais ces personnes ne disent pas
la même chose par rapport à ma présence, notamment la circonstance de ma
présence, ce que je faisais. », clame-t-il.
Des aveux de Diendéré moins
d’une heure après le drame ?
S’il
y a un témoignage avec lequel l’accusé Dienderé et ses conseils ont eu maille à
partir, celui de Bassolet Hubert Charles André fait incontestablement partie. A
l’époque, il était adjudant-chef Major, infirmier militaire en service à
l’infirmerie du Centre national d’entrainement commando (CNEC) basé à Pô. Il a
été affecté au Laboratoire du camp Guillaume Ouédraogo qu’il a rejoint le 5
octobre 1987. Le 15 octobre, après les coups de feu, il est allé voir le chef
de corps adjoint, le lieutenant Dienderé Gilbert dans son bureau : « Je lui ai demandé ce qui se passe. Il m’a
dit exactement ceci : « Sankara avait décidé d’éliminer les chefs
historiques et ces derniers ont décidé de l’éliminer ». Il ne peut pas
contester m’avoir dit ça. Il me l’a dit personnellement dans son bureau.
J’étais désemparé. » Bien avant cette révélation sur l’assassinat de
Sankara, le témoin était allé voir Gilbert Dienderé le 5 octobre pour lui
demander de faire quelque chose pour ramener le calme dans les rangs. « Le 05 octobre, lorsque j’ai rejoint mon
poste à Ouagadougou, je me suis présenté au chef de corps adjoint, le
lieutenant Dienderé Gilbert. Je lui ai dit : mon lieutenant, il y a un
problème. Un sous-officier … proche de Blaise Compaoré m’a dit ceci et cela et
un autre également proche de Sankara m’a tenu à peu près les mêmes propos… Je
lui ai dit que je venais le voir parce qu’il était le chef de corps adjoint et
de tout faire pour qu’on ne se tire pas entre nous… Le chef de corps adjoint
m’a écouté, il a souri et il n’a rien dit. J’ai compris par la suite que tout
était joué. Le 15 octobre, quand il m’a dit que Sankara voulait éliminer les chefs
historiques qui l’ont éliminé lui, je me suis dit, c’est fait, comment il faut
faire ? Je suis sorti de son bureau, j’ai dit au soldat Compaoré Ali
d’aller voir Kambou Titaré, le responsable du magasin d’armement, pour me
donner un fusil kalachnikov et des munitions. Je précise que quand je venais
voir le lieutenant Dienderé, peut-être une quarantaine de minutes après les
faits, je suis passé à côté des corps couchés. »
Autre
fait troublant dans la construction de la défense de Gilbert Dienderé :
nulle part durant les événements, il n’a parlé ou rendu compte à Blaise
Compaoré de quoi que ce soit. Pourtant, Blaise Compaoré était son supérieur
hiérarchique immédiat et considéré comme le numéro 2 du CNR à l’époque. A
partir de l’assassinat de Thomas Sankara, Blaise Compaoré était devenu, de
facto, le nouveau président, en atteste la déclaration du Front populaire lue à
la radio à 19h. Malgré la montée en puissance de Blaise Compaoré, le lieutenant
Dienderé n’avait pas affaire à lui. Il a préféré dire aux juges qu’il parlait
aux morts (Lingani, Maiga, Nabié, etc.). Dans les renseignements militaires, il
semble que cette parade serait l’apanage des fautifs, de ceux que tout accuse.
Ibrahima Cabral