La lutte contre le
terrorisme prendra sans doute un sérieux coup ! Cinq hélicoptères, commandés
par l’Etat burkinabè, sont arrivés en juin 2020, clopin-clopant, à l’image d’un
«éléphant au pied cassé». Le Burkina avait pourtant fondé de gros espoirs sur
cette commande. Les hélicos, qui ont coûté, selon nos sources, plus de 30
milliards de francs CFA, devaient, à la livraison, être aptes pour des
opérations militaires. Mais les appareils livrés ne répondaient pas à toutes
les normes requises. Le fournisseur, Aranko Sécurity, de l’homme d’affaires
Rafi Dermardirossian, vendeur d’armes de nationalité franco-arménienne, et qui
rafle pratiquement toutes les grosses commandes au Burkina depuis 2016, a
plutôt livré des hélicoptères de «type B3, version civile». Mais curieusement,
le Burkina a accepté de les réceptionner. Et a même commencé à les utiliser. Le
fournisseur avait prévu, à l’arrivée des hélicoptères, d’y intégrer un
dispositif permettant d’effectuer des opérations militaires, notamment des
frappes aériennes. Il envisageait ainsi de se rendre au Tchad pour acheter les
pièces nécessaires qui, en réalité, devaient être démontées, une fois le
paiement effectué, sur des hélicoptères tchadiens en panne ou hors d’usage. Et
c’est à ce niveau que Aranko Sécurity va se fracasser le crâne ! Elle
décide de sous-traiter avec une autre société, Aérotechnologies, chargée
spécifiquement d’acheter les pièces et d’effectuer les modifications requises
sur les hélicoptères. Coût du marché : 2 181 789 020 FCFA.
Le sous-traitant reçoit, selon les termes du contrat signé entre les deux
parties en septembre 2020, une avance de 908 607 176 FCFA pour l’étude
et l’achat des pièces. Délai d’exécution de l’ensemble des travaux : six
mois. Mais ce délai s’est écoulé sans qu’aucune pièce ait été achetée. Le hic,
c’est qu’il ne reste pratiquement aucun centime des 908 607 176 FCFA.
Le gérant
de la société Aérotechnologies, Yves Millogo, est injoignable. Il a été mis
sous mandat de dépôt le 9 septembre 2021. Les faits sont suffisamment graves.
Aranko Security est à ses trousses (et celles de sa société) depuis juin
dernier pour «abus de confiance» portant sur la somme de 908 167 176
FCFA. Elle veut impérativement que ces fonds lui soient restitués, le travail
convenu n’ayant pas été exécuté. Mais Aérotecnologies n’entend pas rendre gorge
si facilement. Elle a aussi donné un coup de poing sur la table. Mais pas à
priori contre Aranko ! Elle a plutôt décidé de frapper dans sa propre
sphère dirigeante. Et c’est l’un des associés de Aérotechnologies, Paul Yves
Rossini, qui va devoir supporter les pots cassés. Cette société française,
établie au Burkina, a décidé de le poursuivre pour «abus de confiance,
escroquerie, tentative d’escroquerie, faux et usage de faux». C’est à lui que
Aérotechnologies aurait, dit-on, spécifiquement confié le travail lorsque le contrat
a été signé avec Aranko. La scène a visiblement l’air d’une
autodestruction ! Mais Aérotechnologies estime qu’il s’agit là, du moindre
mal. Mais il n’y a pas que ça. Un troisième acteur pourrait même s’inviter dans
cette tourmente judiciaire. L’Etat burkinabè, visiblement floué, va-t-il se
retourner contre son fournisseur, Aranko Security ? Le débat fait rage dans les premiers cercles du ministère de la
Défense. Mais pour le moment, le chef suprême des armées, Roch Kaboré, observe
les deux ex-partenaires (Aranko et Aérotechnologies) se livrer à un jeu de
massacre.
Tout
avait pourtant bien commencé. En bons gentlemen, ils se sont retrouvés à Paris,
autour d’un verre, pour négocier les termes du contrat. Un long moment de discussions.
Et voilà, c’est fait ! Marché conclu ! Les deux parties se saluent
avec fierté, se donnent des accolades, les visages resplendissants ! Les
hauts responsables de Aérotechnologies, représentés, à l’occasion, par l’un des
associés, Paul Rossini, ont dû imaginer le compte bancaire de la société en
train de se renflouer, dans les prochains mois, de 2 181 789 020
FCFA. C’est évidemment le jackpot. Le patron de Aranko Security, qui était, lui
aussi, de la partie, a dû appeler ses collaborateurs immédiats pour leur
annoncer la bonne nouvelle. Dans leur tête, fourmillait, sans doute, un gros
bénéfice au regard du montant global du marché, estimé à plus de 30 milliards
de francs CFA. Le contrat est ensuite transféré par Paul Rossini à son associé,
Yves Millogo, représentant Aérotechnologies au Burkina, pour signature. Le 14
septembre 2020, tout est fin prêt. Les deux parties ont apposé leur signature
au bas du document. D’un côté, Yves Millogo et de l’autre, celui que l’on
appelle, dans les couloirs du ministère de la Défense, «le grand ami du
Président Kaboré», Rafi Dermardirossian.
Il
faut maintenant passer à la phase pratique. Aérotechnologies a une mission bien
précise : moderniser les hélicoptères B3 version civile, achetés par
Aranko Scurity, en version militaire.
Les deux parties avaient des pistes en la matière. Leur regard se tourne vers
le Tchad. Il était prévu que Aérotechnologies s’y rende. Avec, pour mission,
une fois l’accord formel des autorités françaises et tchadiennes obtenue, de
démonter le «matériel nécessaires» sur des hélicoptères hors d’usage. Il ne
s’agit donc pas de matériels neufs mais tout de même utilisables. Pour cette
mission, Aranko Secutrity a dû débloquer des centaines de millions de francs
CFA, à titre d’avance, au profit de Aérotechnologies. Elle a signé deux chèques
le même jour, le 15 septembre 2020. Montants : 677 289 025 FCFA et 230 878151 FCFA.
Donc, au total, 908 167 176 francs ! Ce préfinancement devait
permettre de couvrir l’étude et l’achat du matériel. Selon l’article 15 du
contrat, Aérotechnologies devait achever les travaux, y compris l’intégration
des appareils achetés aux hélicoptères civils, au plus tard le 31 janvier 2021.
Mais huit mois après, rien n’avait pratiquement été fait. En tout cas, les hélicos
attendaient désespérément leur nouvel appareillage. La colère monte alors du
côté de Aranko. Elle commence à se convaincre que son partenaire a utilisé les
908 167 176 FCFA à d’autres fins. Ainsi, la bonne ambiance de Paris,
qui a prévalu à la signature du contrat, commence à se fissurer. Et la relation
d’affaires entre les deux parties commence à tanguer. Comme un bateau ivre qui
fonce droit dans le rocher. Aranko Security décide alors de passer à la
vitesse supérieure. Et le 24 mai 2021, elle décide de rompre le contrat. Le
Directeur général de Aérotechnologies reçoit, le même jour, une grosse
enveloppe, frappée du sceau «Confidentiel». Objet de la lettre : «Demande
de résiliation du contrat». La suite ? La voici : «Monsieur le
Directeur général, dans le cadre de notre partenariat pour l’exécution du
contrat N° 00005/10202012, entré en vigueur depuis le 14 septembre 2020, pour
la modernisation des aéronefs et dont la fin des travaux était prévu au temps
T1+6 mois conformément à votre planning, soit autour du 25 avril 2021, nous
demandons une résiliation dudit contrat». Et voici Aranko Security qui expose
ses arguments : «Vous constatez avec nous que vous êtes à huit (8) mois d’exécution
sans preuve d’avancement des travaux.
Pour preuve, la livraison du matériel de type C2 prévue en T0+40 jours et qui
devait être fait autour du 24 octobre 2020 n’a toujours pas été faite». Et
enfin, le coup de marteau : «Au regard du constat général et de nos engagements
envers notre fournisseur, nous demandons une résiliation du contrat et, par
ricochet, le remboursement des sommes encaissées qui s’élèvent neuf cent-huit
millions cent soixante-sept mille cent soixante-seize (908 167 176)
FCFA».
La
réponse de Aérotechnologie «atterrit», le 8 juin 2021, sur le bureau du patron
de Aranko Security. Pas de polémique. La société a décidé de restituer les
fonds. Morceau choisi : «Par la présente, nous marquons notre accord et
nous engageons à procéder au remboursement des avances perçues». Mais attention ! Les choses ne vont pas aller
vite, comme l’espère Aranko Security. Au contraire, elles vont se corser. Les
908 167 176 FCFA, injectés à titre d’avance, semblent introuvables.
N’en pouvant plus, Aranko décide de trainer Yves Millogo, signataire du
contrat, et sa société devant les juridictions burkinabè. «Jusqu’à ce jour,
affirme le patron de Aranko, aucune modification n’a été apportée aux
hélicoptères. Quand j’approche le sieur Millogo Arzouma Yves pour comprendre,
il ne fait que du dilatoire». Mais ce dernier balaie tout cela du revers de la
main. Il dit avoir réclamé, au départ, l’autorisation du constructeur pour la
modernisation des hélicoptères, en vain. De même que la spécification technique
du besoin et d’autres outils. «Selon les termes du contrat, la première partie
était les études, la deuxième, la fourniture des canons et enfin, la
modernisation des aéronefs. Nous avons exécuté le premier niveau, à savoir les
études faites par Paul Rossini. Et nous avons envoyé notre personnel au Tchad
pour demander et rassembler le matériel nécessaire à la modernisation. Du
Tchad, le personnel est venu au Burkina Faso pour la modernisation. Une fois
sur place, ils ont réclamé l’autorisation du constructeur pour la modernisation
des aéronefs. Ces derniers m’ont conseillé de ne pas toucher à l’appareil s’ils
n’avaient pas cette autorisation». Mais le Gérant de Aranko Security, Rafi
Dermardirossain, monte sur ses grands chevaux. «Il ne m’a jamais demandé quoi
que ce soit. S’il avait besoin de ces documents, il aurait dû me les réclamer
avant la signature du contrat». Et il précise que sur le contrat, «les
différentes modifications y sont consignées».
Ainsi,
très vite, la face hideuse de l’affaire se révèle. En donnant un coup de pied
dans la fourmilière, on se rend compte que les fonds, remis à Aérotechnologies,
n’ont pas vraiment servi à l’achat du matériel. D’ailleurs, aucun matériel n’a visiblement
été acheté. Tout porte à croire que les centaines de millions ont été mal
gérés. L’argent a été surtout injecté dans les voyages et les hébergements
(billets d’avion, frais d’hôtel, etc.). Plusieurs dizaines de millions de
francs CFA retirés au GAB sans qu’on sache véritablement la destination. Même
si le Gérant de Aérotechnomlogies affirme que cela a servi à des dépenses
ponctuelles sans donner véritablement de précision. D’importants fonds auraient
servi aussi à alimenter des intermédiaires. Le Gérant avait également créé un
Dépôt à termes (DAT) dans une banque. En clair, un compte bloqué pour une
période de deux ans, contenant 400 millions de francs CFA. Alors que le contrat
avait un délai d’exécution de six mois. Cherchait-il ainsi à détourner les 400
millions FCFA de leur destination initiale ? Il y a visiblement une
incohérence entre l’utilisation des fonds et les termes du contrat. Et
lorsqu’on demande au gérant de Aérotechnologies si, au terme de toutes ces
dépenses, il est en mesure de présenter le matériel acheté, sa réponse est
plutôt laconique : «Nous n’avons pas la marchandise». Il prétend que
l’argent a été utilisé dans le processus d’acquisition. Il reconnait, du reste,
que certaines personnes qui ont bénéficié des fonds «n’avaient pas de lien avec
le marché».
Mais
très vite, Aérotechnologies va tenter de botter en touche. Elle pointe un doigt accusateur sur l’un de
ses associés : Paul Yves Rossini. Il était à la rencontre de Paris, aux
premières heures des négociations. La société a même décidé de le trainer en
Justice. Objet : «Plainte contre monsieur Paul Rossini pour abus de
confiance, escroquerie, tentative d’escroquerie, faux et usage de faux». Voici
en substance le contenu de la plainte : «Courant l’année 2020, la société
Aérotechnologies a signé un contrat avec Aranko Security, pour la modernisation
au profit de l’Etat burkinabè de cinq hélicoptères B3 version civile en hélicoptères
de combat. Pour l’exécution dudit marché, Aérotechnologies a signé un
contrat-cadre de travail avec monsieur Paul Yves Rossini, en qualité
d’ingénieur chef de projet. Il convient de noter que monsieur Paul Yves Rossini
est par ailleurs un associé de la société Aérotechnologies. Monsieur Paul Yves
Rossini a promis au client une livraison rapide des travaux. Pour ce faire, il
a mobilisé cinq techniciens en aéronautique (…) avec lesquels la société a
conclu des contrat-cadres de travail». La suite s’apparente à un véritable
rouleau compresseur. Selon Aérotechnologies, 16 375 000 FCFA lui ont
été transférés «pour l’achat et la mise à disposition des outils nécessaires à
la réalisation des travaux par les techniciens ». De même qu’une avance
pour la réalisation d’études relatives à l’opération de modernisation. Et voici
la partie choque de la plainte : «Bien qu’il n’ait payé, ni disponibilisé
le matériel pour que les techniciens puissent travailler, monsieur Paul Yves
Rossini a envoyé trois techniciens au Tchad pour démonter des hélicoptère C2 et
y récupérer le système canon, nécessaire pour la modernisation des hélicoptères
au Burkina Faso. Les techniciens vont ainsi passer 9 mois sans les outils pour
leur mission, aux frais de la société». Et ce n’est pas tout. Ces derniers
auraient affirmé que les études réalisées par Paul Rossini ne leur étaient pas
utiles. Arguant que les canons attendus du Tchad étaient incompatibles avec
les hélicos livrés au Burkina: c’était selon eux, des «1100 » et non des
« 1200 » comme stipulé dans le contrat. Et voici le coup de
poignard final: «Tout en sachant qu’il n’avait pas fait les études pour
lesquelles il avait déjà perçu une avance, monsieur Paul Rossini a tenté
d’extorquer à la société, la somme de 300 000 euros (environ
195 500 000 FCFA) en lui soumettant une fausse facture. Cette facture
a, en effet, été émise par une société évoluant dans l’immobilier, avec
laquelle Aérotechnologies n’a aucune relation contractuelle».
A
l’évidence, cette affaire risque de faire tomber des «têtes». Déjà, le Gérant
de Aérotechnologies a été mis sous mandat de dépôt. L’épée de Damoclès plane
sur d’autres têtes. Même Aranko Security, que nous avons contactée, mais qui
n’a pas souhaité s’exprimer pour le moment sur cette affaire brûlante, n’est
pas l’abri. L’Etat burkinabè pourrait se retourner contre elle. Et ça risque de
faire mal, très mal. Affaire à suivre.
Par Hervé D’AFRICK
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