La dernière parade de Blaise Compaoré pour échapper à l’affaire Thomas Sankara lui est revenue, de façon fracassante, en plein visage. Comme un violent coup de fouet ! Il rêvait d’une amnistie. Après la présidentielle de 2010, il s’était réinstallé dans le «gros fauteuil de Kosyam», se disant sans doute que son pouvoir ayant été sécurisé par les élections qu’il venait de remporter, l’heure « était venue de voter une «loi d’amnistie» en faveur «des anciens chefs d’Etats». Mais en réalité, «il ne pensait qu’à lui. L’affaire Thomas Sankara le tenaillait et il voulait ainsi échapper à la Justice», confie une source qui a arpenté, pendant de longues années, les couloirs de la Présidence sous son règne. En 2012, il tente le tout pour le tout. Et il parvient, grâce à son réseau de parlementaires, à instaurer une «amnistie». Il a dû jubiler lorsque la loi a été votée ! Mais comme un oiseau atteint en plein vol par un projectile, son espoir s’est défait à vive allure. Il est «chassé» du pouvoir en octobre 2014. Et en 2015, la loi d’amnistie qu’il avait appelée de tous ses vœux, a été abrogée. Le dossier Thomas Sankara a lui aussi connu, depuis le début, sa part de «torture judiciaire». Ils ont voulu l’«enterrer». Et consacrer ainsi, la deuxième mort du leader de la Révolution.
L’ex-président, qui a passé pratiquement 27 ans au pouvoir, a mal fait ses calculs. Il a cru que un plus un faisait forcément deux ! Mais c’était une erreur ! La loi d’amnistie, votée le 11 juin 2012, a été supprimée par une «loi constitutionnelle» le 5 novembre 2015. Selon des documents judicaires que nous avons pu consulter, «cette loi d’amnistie ne pouvait aucunement bénéficier à Compaoré Blaise dit Jubal, Capitaine des Forces armées, chef de corps du Centre national d’entrainement commando (CNEC), cumulativement Commandant de la 5è Région militaire basée à Ouagadougou et ministre d’Etat chargé de la Justice du gouvernement du Conseil national de la Révolution au moment des faits qui lui sont reprochés, et non chef de l’Etat à l’époque». Certains acteurs du coup d’Etat avaient espéré que le dossier soit prescrit. Et la date fatidique, c’était le 15 octobre 1997. Dix ans après les faits. Ils avaient donc espéré que pendant cette période, aucun acte judiciaire ne soit posé. Mais surprise ! Le 3 octobre 1997, l’avocat de Mariam Sankara et de ses enfants dépose, auprès des juridictions burkinabè, une plainte avec constitution de partie civile. Il demande ainsi au Tribunal de grande instance de Ouagadougou d’ouvrir une enquête pour faits d’assassinat sur la personne de Thomas Isidore Noël Sankara, commis le 15 octobre 1987.
Mais aussi pour «faux en écriture administrative sur le certificat de décès qui porte la mention «Mort naturelle». Le juge décide d’informer contre X du chef des infractions visées. Et puis, coup de théâtre ! Le Ministère public s’oppose à cette décision. Il interjette appel. Et il obtient, le 26 janvier 2000, de la Chambre d’accusation, l’infirmation de la décision du juge. Motif invoqué : les juridictions de droit commun sont incompétentes pour connaitre de cette affaire. Mais la partie civile ne baisse pas les bras. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la Chambre d’accusation. Le dossier se retrouve ainsi sur la table de la «Cour suprême». Le 19 juin 2001, la décision tombe de façon fracassante. L’arrêt de la Cour suprême apparait, aux yeux des plaignants, comme un coup de poignard : le pourvoi est irrecevable pour défaut de versement de la consignation prévue par les textes.
Le dossier sera-t-il ainsi enterré ? Les signaux sont au rouge. Et tout porte à croire qu’il s’agit là, de la deuxième mort de Thomas Sankara. Mais Mariam Sankara et ses enfants n’abandonnent pas la lutte. 30 septembre 2002 : revoici l’affaire sur la table des juges. Le Conseil de Mariam, Philippe et Auguste Sankara dépose une nouvelle «plainte contre X avec constitution de partie civile. Il expose, cette fois, des faits de «séquestration sur la personne de Thomas Sankara». Mais là aussi, le juge d’instruction saisi se déclare incompétent. Il avait reçu du Procureur près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, des «réquisitions de non informer». Mariam Sankara et ses enfants font appel. Le dossier atterrit à la Chambre d‘accusation de la Cour d’appel. Les nouvelles ne sont pas bonnes. La Chambre d’accusation confirme l’ordonnance du juge d’instruction rendue le 25 juin 2003. Le dossier se retrouve à la Cour de cassation. Le pourvoi est une fois de plus rejeté. La Chambre criminelle de la Cour de cassation estime, le 28 juin 2012, qu’il est «mal fondé».
La veuve et les orphelins de Sankara se retournent alors vers les juridictions internationales. Et là, c’est le «Collectif juridique international Justice pour Thomas Sankara» qui prend les devants. Il saisit le Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Le 5 avril 2006, la décision tombe ! Voici l’essentiel : le Burkina Faso, qui a adhéré au Protocole facultatif reconnaissant la compétence du Comité, a manqué à ses obligations. Il a violé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment en ses articles 2, 5, 7, 9 et 14. En clair, le Burkina a violé les droits civils et politiques des ayants-cause de Sankara, notamment la veuve et les orphelins. A cela s’ajoute la non-reconnaissance officielle du lieu où la dépouille a été enterrée. De même que la non-rectification de l’acte de décès de Thomas Sankara sur laquelle il est écrit qu’il est mort de « mort naturelle», contrairement aux faits reconnus de notoriété publique. Il est également question de «non-respect de la garantie d’égalité devant les tribunaux, l’inaction des juridiction en dépit des divers recours introduits depuis lors…». Selon le Comité, «la non-ouverture d’enquête et de poursuites sur les circonstances de la mort de Thomas Sankara et la non-rectification de son acte de décès (est) un traitement inhumain à l’égard de la famille…». Et il a été clair : aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire compétent.
Mais c’était mal connaitre les autorités burkinabè. Le 21 juin 2006, la partie civile adresse une demande de dénonciation des faits au ministre de la Défense. Elle est automatiquement rejetée. Le Commissaire du gouvernement botte en touche. Et classe le dossier. Mais les ayants-cause de Sankara tiennent mordicus. Par acte d’huissier, ils assignent l’Etat burkinabè, le 15 octobre 2010, devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Et ils demandent que soit identifié le corps se trouvant dans la tombe désignée comme celle de Thomas Sankara au cimetière de Dagnoën. Mais là aussi, coup de tonnerre ! Le tribunal se déclare incompétent le 30 avril 2014.
Et voici une lueur d’espoir qui se dessine enfin ! En octobre 2014, Blaise Compaoré est chassé du pouvoir. S’ouvre alors une année de transition. Et là, c’est le procureur du Faso près le TGI de Ouagadougou lui-même qui prend les choses en mains. Le 6 mars 2015, il dénonce au ministère de la Défense, les infractions d’assassinat, de faux en écriture publique retenues dans l’affaire Thomas Sankara. Et voilà le dossier qui commence à avancer. Le ministre de la Défense signe un ordre de poursuite le 12 mars 2015. Il instruit le ministère public d’entamer les poursuites.
Et enfin, le 18 mars 2015, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire saisit le juge d’instruction du cabinet N°1. Il s’agit, selon un document judicaire que nous avons pu consulter, «d’informer contre X pour attentat à la sûreté de l’Etat, assassinat, complicité d’assassinat, recel de cadavre et faux en écriture authentique et publique». 25 personnes sont inculpées. Cinq d‘entre elles sont décédées par la suite (Voir CC N°214 du 15 octobre 2020). L’instruction est pratiquement bouclée. Il reste, selon nos sources, quelques réglages avant le procès. Ce 13 avril, la Chambre de contrôle donnera la conduite à tenir. Elle vérifie actuellement la régularité des actes posés par le juge d’instruction. Elle dira donc s’il y a lieu de renvoyer pour jugement des personnes mises en examen pour des infractions précises. Affaire à suivre.
Par Hervé D’AFRICK