Assassinat de Thomas Sankara, acte 9 : quand Diendéré fait les yeux doux à un proche de Sankara

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Assassinat de Thomas Sankara, acte 9 : quand Diendéré fait les yeux doux à un proche de Sankara

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Le Général Gilbert Diendéré, mis en examen dans l’affaire Thomas Sankara, a-t-il voulu sauver sa peau ? L’un des témoins, Ninda Pascal Tondé (son chauffeur au moment des faits), a fini par cracher le morceau. Et ça ne sent pas du tout bon. Ils se sont rencontrés, dit-il, à la Maison d’arrêt et de correction des Armées. Tondé dit être allé rendre visite au Général. Et là, il s’est vu confier, en quelque sorte, une mission. «Diendéré m’a dit d’aller voir un ex-militaire, Abdrahamane Zetiyenga», un proche de Thomas Sankara, en service, au moment des faits, au Conseil de l’Entente. Et si l’on en croit Pascal Tondé, il s’agissait d’inciter ce dernier à livrer au juge, un témoignage taillé sur mesure. Mais c’est raté ! Diendéré a été mis en examen pour subornation de témoin. Tondé est également tombé dans les filets de la Justice. Il a été mis en examen «pour complicité».

Lorsque le pot-aux-roses a été découvert, Tondé est passé aux aveux. Voici ce qu’il a déballé. «C’est le Général Diendéré Gilbert qui m’a demandé d’aller dire à Zetiyenga Abdrahamane ce que je lui ai dit. Je suis allé voir Gilbert Diendéré à la MACA (…) On parlait et puis, entre temps, il m’a dit de dire à Zetiyenga Abdrahamane que le Major Somda Eugène veut salir son nom». Selon Tondé, Diendéré s’est affiché comme s’il voulait aider Zétiyenga à se sortir d’affaire. En réalité, tout est parti d’une confrontation organisée par le juge et qui a permis à des inculpés de dire leur part de vérité. On apprend ainsi que Diendéré a voulu exploiter les propos de l’un des témoins, le Major Eugène Somda, pour redorer son blason auprès de Zétiyenga. Il a donc voulu lui vendre la mèche, par l’intermédiaire de Pascal Tondé.  Ce dernier fait ici un résumé de la situation. Selon ce que Diendéré lui a dit,  «le jour du coup d’Etat, après les tirs, Zetiyenga ne voulait pas laisser rentrer le Major Somda Eugène au Conseil. Et quand finalement, il l’a laissé rentrer, Ouédraogo Nabonswendé (l’un des militaires inculpés) l’a arrêté puis désarmé». Mais, selon l’envoyé présumé de Diendéré, le Général ne voulait pas que Ziétiyenga  témoigne dans ce sens. Mais qu’il fasse plutôt un revirement spectaculaire. Il «m’a dit de dire à Zetiyenga que si le juge l’appelle, de dire qu’il n’était pas au Conseil de l’Entente, qu’il était en ville et qu’il n’est arrivé qu’après. Et que, par conséquent, il n’est au courant de rien», affirme Pascal Tondé. Il se met ainsi à la recherche l’ex-militaire, Abdrahamane Zetiyenga, pour lui porter le message. Et voilà, c’est fait ! Mais la suite apparait comme un retour du bâton. Son interlocuteur refuse catégoriquement de mordre à l’hameçon. Et il en parle : «En substance, dit-il, Ninda Pascal Tondé, alias Manga Naaba, m’a dit que c’est le Général Diendéré Gilbert qui l’a envoyé me dire de prendre des précautions, parce que le Major Somda Eugène est en train de vouloir salir mon nom, comme quoi, le 15 octobre 1987, il a voulu rentrer au Conseil et je lui ai refusé l’accès à plusieurs reprises, que lorsque je l’ai autorisé à rentrer, il a été désarmé par des éléments à l’intérieur du Conseil. Ce qui voudrait dire que j’étais au courant de l’assassinat de Thomas Sankara. Il a ajouté que les auditions étaient en train d’être faites et que je risquais d’être appelé par le juge. Il m’a dit que si je ne me défendais pas bien, je serais conduit aussi à la MACA. Pour ce faire, il faut que je dise que j’étais en ville. Et que ce n’est que lorsque j’ai entendu les coups de feu que je suis revenu au Conseil. Il a voulu que je dise les choses ainsi. Je lui ai demandé si c’est bien le Général Diendéré qui l’a envoyé. Il a répondu oui, que c’est bien le Général Diendéré qui l’a envoyé me voir. Je lui ai dit de remercier le Général Diendéré de ma part, et de lui dire que j’ai déjà été auditionné et que des gens m’ont également vu au Conseil».

Mais si Diendéré tient autant à ce que Zétiyenga serve une autre version des faits que celle supposée provenir du Major Somda, c’est qu’en-dessous, il y a une patate chaude qui brûle fort, très fort. En réalité, le supposé complot de 20h, évoqué par Diendéré et Blaise Compaoré, pour justifier ce qui aurait motivé les assaillants à perpétrer le coup de 16h, est mis en doute par Zétiyenga. Et par d’autres témoins (Voir CC N° 226 du 15 février 2021). Est-ce une façon de rallier Zétiyenga, présenté comme étant l’un des proches de Sankara, à ceux qui brandissent le «complot de 20h » ? Le matin du 15 octobre, Gilbert Diendéré, alors Lieutenant, a organisé une rencontre de chefs militaires, tout en excluant, selon plusieurs témoignages, ceux jugés proches de Sankara. Et à cette rencontre présentée comme ayant été organisée pour trouver une solution à la crise qui prévalait, l’idée d’un possible complot contre le camp Compaoré a été évoquée. Abdrahamane Zétiyenga, celui que Diendéré veut à présent courtiser, selon Pascal Tondé, était présent à la rencontre. Mais on le savait pas en bons termes avec le Lieutenant Diendéré. Voici son témoignage : «Le 14 ou le 15 octobre 1987, le Lieutenant Gilbert Diendéré a convoqué une autre réunion, cette fois-ci des gradés sans ceux de la sécurité rapprochée (de Thomas Sankara)…Il a dit au cours de cette réunion qu’il y avait une réunion du CNR le 15 octobre à 19h au Conseil. Que selon les informations, le Capitaine Sankara devait venir introduire la réunion et repartir. Au cours de cette réunion, il nous a dit que Sankara préparait un coup contre Blaise Compaoré au cours de la réunion du CNR à 19h qui devait être exécuté par Sigué Vincent et ses hommes. Il a ajouté qu’il fallait tout faire pour éviter ce bain de sang en procédant à l’arrestation du Président Thomas Sankara à son arrivée à 15h pour préparer la réunion de la nuit, pour ensuite l’emmener en résidence surveillée à Pô. Compte tenu des suspicions qui régnaient entre lui et moi, j’ai évité de prendre la parole pour qu’il ne dise pas que je suis de l’autre côté. Apparemment, il y avait des camps tranchés. Seulement, je me suis dit intérieurement, comment Sigué, au regard de notre dispositif, pouvait venir le franchir, entrer au Conseil pour des causes comme cela ? On pouvait évidemment le cueillir bien avant, lui et ses hommes, au lieu de penser à arrêter le Président Thomas Sankara». Et ce n’est pas tout. « Dans la journée du 15 octobre 1987, le Lieutenant Diendéré a consigné le quartier pour pouvoir mettre à exécution son plan. Je n’ai pas eu d’informations concernant la manière dont ils allaient arrêter Thomas Sankara, ni qui devait le faire. Je pense qu’il doit avoir eu une réunion au cours de laquelle des instructions ont été données à ceux qui devaient le faire. Sinon, ça ne se serait pas produit».

Diendéré a d’ailleurs reconnu, lors d’une confrontation avec Zétiyenga, la tenue de la réunion le matin du 15 octobre 1987. Et concernant l’arrestation de Sankara dont il est question, il affirme que c’est ce que les «acteurs de la tuerie du 15 octobre lui ont donné comme explication». Mais il s’empresse d’ajouter que les évènements datent de longtemps et qu’il y a «beaucoup de confusions de la part de Zétiyenga».

Mais Diendéré a-t-il demandé, via Pascal Tondé, à Zétiyanga de servir une «version taillée sur mesure   au juge ? Non, répond-il en substance. Mais certains faits ont intrigué les juges. Quel intérêt Tondé a-t-il à rechercher particulièrement Zétiyenga, «avec qui il n’avait gardé aucun lien depuis des années, pour lui dire comment se comporter devant le juge quelques temps seulement après la confrontation?». Tout porte à croire qu’il était «le missionnaire de Diendéré», peut-on lire dans un document judiciaire. La thèse de la «subornation de témoin» semble visiblement tenir la route.

Par Hervé D’AFRICK



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