Pourquoi le
médecin-militaire Alidou Diébré, sachant que le Président Sankara avait été
abattu au Conseil de l’Entente par des assaillants lourdement armés, a-t-il
écrit, sur le certificat de décès, qu’il est «mort de mort naturelle» ?
L’a-t-il fait sous la contrainte, le canon d’une arme pointé sur lui ?
Non, répond l’intéressé dont nous avons pu accéder au témoignage. «Je l’ai
fait, dit-il, pour aider la veuve Sankara dans ses démarches administratives».
Ils ont tordu le cou à la vérité. De façon crue et révoltante. Le
médecin-militaire Alidou Diébré, Directeur central du service de santé des
Forces armées populaires au moment des faits, a osé écrire que Sankara est
«mort de mort naturelle». Mais il n’y a pas que le Président assassiné qui soit
concerné par cette situation. Les certificats de décès de ses compagnons
abattus le 15 octobre 1987 comportent deux mentions essentielles. Pour
certains, c’est écrit «Mort de mort
naturelle». Et pour d’autres, «Mort
accidentelle». Mais Alidou Diébré n’est pas le seul à avoir signé tous ces
documents. Selon nos sources, Simon Bambara (alors médecin-chef du dispensaire
familial de l’infirmerie de garnison du camp Guillaume Ouédraogo) et Hamado
Kafando (médecin-chef de l’infirmerie de la présidence du Faso au moment des
faits), ont commis les mêmes gaffes. Et curieusement, ils entonnent tous
le même refrain. «Ils reconnaissent, sans ambages, avoir commis du faux en
établissant des certificats de décès, en constatant comme vrai, des faits
qu’ils savaient faux». Mais ils disent l’avoir fait «pour aider les familles
des victimes dans leurs démarches administratives». Alidou Jean Christophe
Diébré affirme même que si c’était à refaire, il le referait. Il précise
cependant que cette idée lui a été suggérée par l’un de ses collaborateurs,
Yougton Bansé. Mais il s’empresse d’ajouter que cela ne l’a nullement
influencé, qu’il a posé cet acte «en son âme et conscience». Youngton Bansé,
alors Sous-officier, employé au service administratif de l’infirmerie de
garnison de Ouagadougou, confirme lui avoir effectivement suggéré d’apposer,
sur le certificat de décès de Sankara, cette mention. Mais ce n’était qu’une
idée, dit-il. Rien de plus ! Le procès en perspective devrait permettre
d’y voir plus clair. Simon Bambara étant décédé, Hamado Kafando et Alidou Jean
Christophe Diébré sont, à l’étape actuelle de l’évolution du dossier, mis en
examen pour «faux en écriture publique ou authentique». Et ils ne sont pas seuls
à patauger dans les eaux boueuses de cette sombre affaire.
Blaise Compaoré, qui a pris le pouvoir le 15 octobre 1987, est
également dans le pétrin. Lui et 8 autres militaires sont poursuivis, entre autres, pour «recel de cadavres». Voici la
petite histoire : après la fusillade du 15 octobre, les corps de Sankara et
des autres victimes ont été enterrés nuitamment, de façon sommaire, dans des
fosses creusées à la hâte, au cimetière de Dagnoën, par des prisonniers de la
MACO. A l’insu des familles. Aucun constat d’ordre médical, ni judiciaire n’a
été fait avant les enterrements. «C’était à la va-vite», affirme un témoin.
Comme si on voulait dissimuler les corps. Les familles des victimes n’ont même
pas eu le droit, pendant près de trente ans, de savoir, de façon effective, si
ces tombes, au cimetière de Dagnoën, étaient vraiment ceux de leurs proches
tués, afin d’organiser leur deuil. Et selon plusieurs témoignages, Gilbert
Diendéré, qui avait, à l’époque, le grade de Lieutenant, était l’un des
premiers à se rendre sur les lieux après la fusillade pour constater les corps.
Il était l’adjoint de Blaise Compaoré et le patron en ce qui concerne la
sécurité du Conseil de l’Entente, là où s’est produit le drame. Il aurait pu
prendre des dispositions pour que les corps des victimes soient examinés par un
médecin généraliste ou légiste, mais il ne l’a pas fait. Aucune disposition non
plus pour que la Justice soit saisie afin d’élucider les circonstances et les
causes de leur mort. Même pas un coup de fil afin de prévenir les familles des
victimes pour un enterrement digne de leurs parents. Et il ressort de la pile
de témoignages, que c’est de concert avec Blaise Compaoré que «l’ordre a été
donné d’enlever les corps et de les enterrer, comme des personnes sans
familles, dans l’anonymat total et sans respect de la dignité due à leur rang,
à la personne humaine et de surcroit à un président de la république», indique
un document judicaire. Et comme Diendéré, «ayant connaissance de l’assassinat
de Sankara et des douze autres personnes, a donné des instructions pour
l’enterrement des corps» dans des conditions «clandestines», il devra répondre
des faits supposés de «recel de cadavres». De même que Blaise Compaoré. Dans
une note captée par la Justice, Blaise Compaoré déclare : «Le seul ordre
que j’ai donné a été de faire enlever les corps». Mais un autre fait va très
vite le rattraper. Diendéré affirme avoir rendu compte à son chef, le Capitaine
Blaise Compaoré. Et que c’est ce dernier qui a donné les instructions après
s’être rendu personnellement sur les lieux pour voir les corps. D’autres
militaires sont également dans le rouleau compresseur de cette affaire de recel
de cadavres. Sur la liste, trônent, en plus de Gilbert Diendéré et de Blaise
Compaoré, Nabonseouindé Ouédraogo, Wampasba Nacoulma, Idrissa Sawadogo, Yamba
Elysée Ilboudo et Tousma Hyacinthe Kafando, le chef du commando qui a éliminé
Sankara et douze de ses compagnons. Ce dernier est en fuite.
Vers l’inhumation des restes des disparus
Mais que deviennent les restes des
treize corps exhumés dans le cadre de la procédure judiciaire ? En mai
2017, une ordonnance assez spéciale a été prise. Objectif : commettre des
experts «aux fins d’autopsie complète après exhumation des corps supposés de
Thomas Isidore Noël Sankara et douze autres personnes ». Et ce n’est pas
tout. Une autre ordonnance, prise en juin 2015, a permis une expertise ADN. Une
contre-expertise a également été ordonnée en juillet 2016. C’est la société
Pompes funèbre burkinabè (BURKISEP) qui s’est occupée de l’exhumation des
corps. La Direction de la santé de la Commune de Ouagadougou en a assuré la
supervision technique. Et comme toutes les expertises judiciaires sont closes, la
Justice préconise, selon nos informations, l’inhumation des restes des corps
présumés. Il est prévu que cela soit fait par le service des pompes funèbres
des armées. Mais «en étroite collaboration avec les familles des victimes et
les autorités militaires et civiles compétentes». Raison invoquée : «Les
personnes victimes décédées étaient, au moment des faits, des responsables ou
personnalités civiles et militaires en fonction dont un chef d’Etat en exercice
et Officier militaire en activité et en service». Il est aussi prévu, dans la
perspective d’autres expertises, «si besoin est», de «prélever, avant
l’inhumation, des fragments de restes à titre conservatoire, au regard des
conclusions des résultats des analyses ADN (pas très précises selon nos sources),
et des données actuelles de la science en la matière». Si l’inhumation a lieu,
les familles des victimes pourront, enfin, faire leur deuil. Plus de trente ans
après le coup d’Etat.
Par Hervé D’AFRICK
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Ce que dit le Code pénal
Article 373-1 : «Constitue
un faux, toute altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un
préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout
autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour
effet, d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences
juridiques».
Article 373-10 (Extrait): «Est puni d’une peine d’emprisonnement de onze ans à trente an et d’une amende de cinq millions (5 000 000) à dix millions (10 000 000) de francs CFA, tout fonctionnaire ou officier public qui, en rédigeant des actes de sa fonction, en dénature frauduleusement la substance ou les circonstances, soit :