Assassinat de Thomas Sankara, Acte 8 : «Je l’ai fait pour aider la veuve Sankara dans ses démarches administratives» (Alidou Diébré, médecin-militaire)

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Assassinat de Thomas Sankara, Acte 8 : «Je l’ai fait pour aider la veuve Sankara dans ses démarches administratives» (Alidou Diébré, médecin-militaire)

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Pourquoi le médecin-militaire Alidou Diébré, sachant que le Président Sankara avait été abattu au Conseil de l’Entente par des assaillants lourdement armés, a-t-il écrit, sur le certificat de décès, qu’il est «mort de mort naturelle» ? L’a-t-il fait sous la contrainte, le canon d’une arme pointé sur lui ? Non, répond l’intéressé dont nous avons pu accéder au témoignage. «Je l’ai fait, dit-il, pour aider la veuve Sankara dans ses démarches administratives».

Ils ont tordu le cou à la vérité. De façon crue et révoltante. Le médecin-militaire Alidou Diébré, Directeur central du service de santé des Forces armées populaires au moment des faits, a osé écrire que Sankara est «mort de mort naturelle». Mais il n’y a pas que le Président assassiné qui soit concerné par cette situation. Les certificats de décès de ses compagnons abattus le 15 octobre 1987 comportent deux mentions essentielles. Pour certains, c’est écrit «Mort de mort naturelle». Et pour d’autres, «Mort accidentelle». Mais Alidou Diébré n’est pas le seul à avoir signé tous ces documents. Selon nos sources, Simon Bambara (alors médecin-chef du dispensaire familial de l’infirmerie de garnison du camp Guillaume Ouédraogo) et Hamado Kafando (médecin-chef de l’infirmerie de la présidence du Faso au moment des faits), ont commis les mêmes gaffes. Et curieusement, ils entonnent tous le même refrain. «Ils reconnaissent, sans ambages, avoir commis du faux en établissant des certificats de décès, en constatant comme vrai, des faits qu’ils savaient faux». Mais ils disent l’avoir fait «pour aider les familles des victimes dans leurs démarches administratives». Alidou Jean Christophe Diébré affirme même que si c’était à refaire, il le referait. Il précise cependant que cette idée lui a été suggérée par l’un de ses collaborateurs, Yougton Bansé. Mais il s’empresse d’ajouter que cela ne l’a nullement influencé, qu’il a posé cet acte «en son âme et conscience». Youngton Bansé, alors Sous-officier, employé au service administratif de l’infirmerie de garnison de Ouagadougou, confirme lui avoir effectivement suggéré d’apposer, sur le certificat de décès de Sankara, cette mention. Mais ce n’était qu’une idée, dit-il. Rien de plus ! Le procès en perspective devrait permettre d’y voir plus clair. Simon Bambara étant décédé, Hamado Kafando et Alidou Jean Christophe Diébré sont, à l’étape actuelle de l’évolution du dossier, mis en examen pour «faux en écriture publique ou authentique». Et ils ne sont pas seuls à patauger dans les eaux boueuses de cette sombre affaire.

Blaise Compaoré, qui a pris le pouvoir le 15 octobre 1987, est également dans le pétrin. Lui et 8 autres militaires sont poursuivis, entre autres, pour «recel de cadavres». Voici la petite histoire : après la fusillade du 15 octobre, les corps de Sankara et des autres victimes ont été enterrés nuitamment, de façon sommaire, dans des fosses creusées à la hâte, au cimetière de Dagnoën, par des prisonniers de la MACO. A l’insu des familles. Aucun constat d’ordre médical, ni judiciaire n’a été fait avant les enterrements. «C’était à la va-vite», affirme un témoin. Comme si on voulait dissimuler les corps. Les familles des victimes n’ont même pas eu le droit, pendant près de trente ans, de savoir, de façon effective, si ces tombes, au cimetière de Dagnoën, étaient vraiment ceux de leurs proches tués, afin d’organiser leur deuil. Et selon plusieurs témoignages, Gilbert Diendéré, qui avait, à l’époque, le grade de Lieutenant, était l’un des premiers à se rendre sur les lieux après la fusillade pour constater les corps. Il était l’adjoint de Blaise Compaoré et le patron en ce qui concerne la sécurité du Conseil de l’Entente, là où s’est produit le drame. Il aurait pu prendre des dispositions pour que les corps des victimes soient examinés par un médecin généraliste ou légiste, mais il ne l’a pas fait. Aucune disposition non plus pour que la Justice soit saisie afin d’élucider les circonstances et les causes de leur mort. Même pas un coup de fil afin de prévenir les familles des victimes pour un enterrement digne de leurs parents. Et il ressort de la pile de témoignages, que c’est de concert avec Blaise Compaoré que «l’ordre a été donné d’enlever les corps et de les enterrer, comme des personnes sans familles, dans l’anonymat total et sans respect de la dignité due à leur rang, à la personne humaine et de surcroit à un président de la république», indique un document judicaire. Et comme Diendéré, «ayant connaissance de l’assassinat de Sankara et des douze autres personnes, a donné des instructions pour l’enterrement des corps» dans des conditions «clandestines», il devra répondre des faits supposés de «recel de cadavres». De même que Blaise Compaoré. Dans une note captée par la Justice, Blaise Compaoré déclare : «Le seul ordre que j’ai donné a été de faire enlever les corps». Mais un autre fait va très vite le rattraper. Diendéré affirme avoir rendu compte à son chef, le Capitaine Blaise Compaoré. Et que c’est ce dernier qui a donné les instructions après s’être rendu personnellement sur les lieux pour voir les corps. D’autres militaires sont également dans le rouleau compresseur de cette affaire de recel de cadavres. Sur la liste, trônent, en plus de Gilbert Diendéré et de Blaise Compaoré, Nabonseouindé Ouédraogo, Wampasba Nacoulma, Idrissa Sawadogo, Yamba Elysée Ilboudo et Tousma Hyacinthe Kafando, le chef du commando qui a éliminé Sankara et douze de ses compagnons. Ce dernier est en fuite.

Vers l’inhumation des restes des disparus

Mais que deviennent les restes des treize corps exhumés dans le cadre de la procédure judiciaire ? En mai 2017, une ordonnance assez spéciale a été prise. Objectif : commettre des experts «aux fins d’autopsie complète après exhumation des corps supposés de Thomas Isidore Noël Sankara et douze autres personnes ». Et ce n’est pas tout. Une autre ordonnance, prise en juin 2015, a permis une expertise ADN. Une contre-expertise a également été ordonnée en juillet 2016. C’est la société Pompes funèbre burkinabè (BURKISEP) qui s’est occupée de l’exhumation des corps. La Direction de la santé de la Commune de Ouagadougou en a assuré la supervision technique. Et comme toutes les expertises judiciaires sont closes, la Justice préconise, selon nos informations, l’inhumation des restes des corps présumés. Il est prévu que cela soit fait par le service des pompes funèbres des armées. Mais «en étroite collaboration avec les familles des victimes et les autorités militaires et civiles compétentes». Raison invoquée : «Les personnes victimes décédées étaient, au moment des faits, des responsables ou personnalités civiles et militaires en fonction dont un chef d’Etat en exercice et Officier militaire en activité et en service». Il est aussi prévu, dans la perspective d’autres expertises, «si besoin est», de «prélever, avant l’inhumation, des fragments de restes à titre conservatoire, au regard des conclusions des résultats des analyses ADN (pas très précises selon nos sources), et des données actuelles de la science en la matière». Si l’inhumation a lieu, les familles des victimes pourront, enfin, faire leur deuil. Plus de trente ans après le coup d’Etat.

Par Hervé D’AFRICK

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Ce que dit le Code pénal

Article 373-1 : «Constitue un faux, toute altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet, d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques».

Article 373-10 (Extrait): «Est puni d’une peine d’emprisonnement de onze ans à trente an et d’une amende de cinq millions (5 000 000) à dix millions (10 000 000) de francs CFA, tout fonctionnaire ou officier public qui, en rédigeant des actes de sa fonction, en dénature frauduleusement la substance ou les circonstances, soit :

  • En écrivant des conventions autres que celles qui ont été tracées ou dictées par les parties ;
  • En constatant comme vrais des faits qu’ils savaient faux (…)»


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