Le climat
était très lourd, le soir du 15 octobre 1987, à la Radio nationale. Une forte
présence militaire. Des civils, «armés et zélés», fanfaronnaient également dans
les couloirs de la Radio. Sankara et douze de ses compagnons avaient été
abattus à quelques encablures de là, au Conseil de l’Entente, vers 16h 30mn.
Les putschistes cherchaient, à présent, à annoncer officiellement le coup
d’Etat. «J’étais dans la cour de la Radio. Avec les coups de feu, je suis
rentré dans mon bureau situé à droite, à l’entrée principale de la radio. Je me
suis ensuite rendu au Centre de distribution et de modulation (CDM) où il y
avait des collègues», explique un
témoin. Et puis, surprise : «Tamini Gabriel et Salifou Diallo,
accompagnés de militaires (…), ont fait irruption au CDM. Gabriel Tamini était
le premier à parler. Il a dit «On a tué votre type-là !». Et ce n’est pas
tout.
Le
journaliste Gabriel Tamini, qui a été, par la suite, conseiller de Blaise
Compaoré, s’est fait particulièrement remarquer ce jour-là. « Il y
avait des extrémistes tels que Gabriel Tamini qui fut Conseiller de Blaise Compaoré
pendant plus de 20 ans. Le 15 octobre, il se promenait avec un fusil
kalachnikov. Il tenait, m’a-t-on dit, des propos du genre «Allez-y voir votre
Thomas Sankara; il est couché là-bas comme un chien», confie l’une des figures
de proue de la Radio nationale au moment des faits. Un autre, présent ce
jour-là, s’en souvient également: «Le militaire et celui qui était en
tenue civile n’ont pas ouvert la bouche. Seul Gabriel Tamini m’a dit : «On
a tué votre type». Je n’ai pas réagi».
Les jours qui ont suivi, le climat était tout aussi délétère à la Radio. Le
ministre de l’Information au moment des faits, Basile Guissou, en parle. Et là
aussi, Gabriel Tamini est pointé du doigt: «En tant que ministre, je décide
d’assister à la conférence de Rédaction pour préparer le journal parlé de 13
heures à la radio. J’y étais avec Jean Modeste Ouédraogo, mon conseiller
technique, qui était un ancien directeur de la Radio nationale. Dans la salle
de réunion, se trouvait Gabriel Tamini, les pieds sur la table, fumant une
cigarette. Tout le monde se lève pour saluer le ministre, lui non. Jean Modeste
lui fait l’observation. Il ne réagit pas. Je m’assoie, je commence la réunion
sans tenir compte de lui. C’est l’exemple type de la défiance ouverte vis-à-vis
de nous».
Tamini,
dont on dit qu’il était bien au parfum du coup d’Etat alors en préparation,
reconnait qu’il avait de grosses divergences avec Thomas Sankara. Et il en
parle : « Nous avions des rapports politiques compliqués. Suite à une
conférence des cadres de l’UCB le 04 juillet 1987, mes rapports avec Sankara se
sont grandement tendus à cause des débats politiques intérieurs lors de cette
conférence politique des cadres. A l’issue de cette conférence des cadres, j’ai
senti que le CDR de service de la radio a été instrumentalisé pour me traquer. J’ai été invectivé, humilié lors d’une assemblée générale de la radio tenue à
la maison de la presse Mohamed Maïga. Après cela, l’un des derniers Conseils
des ministres du mois de septembre 1987 m’a suspendu de mes fonctions sous un
prétexte administratif mais en réalité politique». Après la fusillade qui a emporté
Sankara et douze de ses compagnons le 15 octobre, il a été conduit chez Blaise
Compaoré. Et c’est lui qui est allé à la Radio avec des militaires, dont le
nommé Omar Traoré qui a lu le communiqué annonçant officiellement le coup
d’Etat. Lorsqu’il est rentré, il a dit «On a tué votre type ! Envoyez la
musique militaire», affirme un témoin. La suite, on la connait : le
communiqué, signé Blaise Compaoré, a dissous le gouvernement révolutionnaire et
proclamé le régime du Front populaire. Blaise Compaoré était ainsi devenu le
nouveau président du Burkina Faso.
Le
Lieutenant Omar Traoré, qui a lu le communiqué ce soir-là, affirme avoir été
embarqué dans cette sombre aventure par les putschistes. Sans son gré. Il
était, dit-il, en instruction avec ses hommes dans l’aile droite du Conseil «lorsque
les tirs ont commencé et c’était la débandade». Très vite, des soldats
l’informent que c’est l’unité de Yacinthe Kafando qui a ouvert le feu sur le
Président du Faso. Après l’attaque, il est désigné pour lire, dit-il, «le
communiqué écrit et remis par Blaise Compaoré». Et c’est un soldat du nom de Yélémou
Arouna (aujourd’hui décédé) qui l’a appelé pour que Blaise Compaoré lui
remette, «de ses propres mains (…), des feuilles blanches où il avait écrit un
texte, d’aller lire». Cela s’est passé «dans la grande salle de réunion du
Conseil, en présence du Commandant Lingani Jean Baptiste». Après lecture du
communiqué, compte rendu a été fait à Blaise Compaoré. Mais ce dernier était en
colère. Il va rabrouer le Lieutenant Oumar Traoré. Selon ce dernier, Blaise
Compaoré «l’aurait ramassé comme pas possible, parce que quelques secondes se
sont écoulées entre la fin de la lecture du texte et l’énoncé de son nom Blaise
Compaoré». Omar Traoré venait à peine d’être affecté au Conseil de l’Entente.
Selon plusieurs témoignages, tout porte à croire qu’il n’était pas au courant de
ce qui allait se passer le 15 octobre». En clair, «il s’est retrouvé au mauvais
endroit au mauvais moment. Et il a pratiquement été contraint de se retrouver
en train de lire le communiqué», affirme une source bien au parfum de l’affaire.
A coup sûr, il n’oubliera pas de sitôt cette folle journée.
Mais pas
seulement lui. Certains ont échappé de justesse à la mort. L’un des militaires,
présent sur le théâtre des opérations, raconte comment il a eu la vie sauve. «Lorsque
Otis a pourchassé quelqu’un et est revenu tirer sur deux personnes, je pense à
Walilaye et à Somda Der couchés à côté de moi pour les achever, Hyacinthe a
crié sur lui de ne pas tuer les enfants. C’est en ce moment que Sawadogo
Idrissa est venu me donner un coup de pied de me lever. Je me suis levé, il m’a
conduit dans la chambre de la sécurité à côté de celle de Blaise Compaoré. Il y
avait des armes à l’intérieur. J’ai été ramené dans la chambre de Blaise Compaoré
en attendant qu’ils déménagent les armes qui s’y trouvaient. Il ne faisait pas
encore nuit. Pendant que j’étais dans la chambre de Blaise Compaoré, le
téléphone a sonné. J’ai hurlé en disant d’avertir Hyacinthe parce que le
téléphone sonne». Il sera ensuite conduit dans une sorte de cellule où un autre
rescapé, Alouna Traoré, sera également conduit. «Ils sont venus me sortir,
dit-il, pour me ramener dans leur chambre où il y avait les armes qu’ils ont
déménagées. J’ai trouvé Ilboudo Laurent ; Sow Drissa et Koala Abel dedans.
Ensuite, ils ont amené Traoré Alouna». Mais d’autres, jugés proches de Sankara,
n’ont pas eu cette chance. Les jours qui ont suivis, ils ont été traqués et
certains exécutés. «Peu de temps après, on est venu me chercher et on m’a
embastillé au Conseil pendant huit mois je crois, Gilbert Diendéré était notre
geôlier d’ailleurs», affirme Abdoul Salam Kaboré. Un
militaire arrêté témoigne: «Quand nous sommes arrivés au Conseil, j’ai été
reçu par le Lieutenant Diendéré Gilbert qui m’a fait comprendre que j’étais en
arrestation pour des raisons de sécurité. J’ai été ensuite conduit à la
gendarmerie nationale au camp Paspanga où j’ai trouvé beaucoup de membres du
gouvernement révolutionnaire dont Somé Valère, Train Raymond Poda, Ouédraogo
Issouf. J’y ai passé deux ou trois nuits. Le Lieutenant Sawadogo Laurent qui
était à la compagnie est venu me dire qu’il a reçu un coup de fil du lieutenant
Diendéré Gilbert, que je devais repartir au « Conseil de l’Entente ».
Quelque temps après, le véhicule du lieutenant Diendéré est venu me chercher
avec son conducteur, un certain Bekaye si je ne me trompe pas. Arrivé au
Conseil, j’ai été reçu par le lieutenant Diendéré qui m’a expliqué qu’après
recoupement des différentes informations me concernant, ils ont décidé de me
libérer».
Un fait
étrange s’est produit au Conseil de l’Entente, peu avant la fusillade: «Le 15
octobre, vers 16h30mn, j’ai entendu un coup de feu que je situe dans les
environs de la devanture du Conseil de l’Entente. Je pense qu’il s’agissait
d’un signal d’alerte de l’arrivée du Président Sankara au Conseil. S’en sont
suivis quelques instants après, des tirs nourris. Ce qui m’a fait penser que le
Président est tombé dans un guet-apens (…) Le coup de feu que j’ai entendu peu
avant les tirs nourris, ressemble à celui d’un pistolet tiré en l’air. Ce n’était
pas le tir d’une arme lourde. C’est l’impression que j’ai eue, partagée par les
deux autres qui étaient avec moi au bureau, à savoir Ido Emmanuel et le
regretté photographe Bara de la Présidence», affirme un journaliste, alors
présent dans les locaux de la Radio, près
du Conseil.
Le
Président Sankara aurait pourtant pu éviter le pire. Boukari Kaboré dit «Le
Lion» avait vu venir le danger. Et il en avait parlé au leader de la
Révolution. Mais tout porte à croire que Sankara ne voulait pas avoir du sang
sur les mains. «Le Lion» livre, ici, un témoignage exclusif : «Pour
impliquer tout le monde dans la sécurité de l’Etat, on avait demandé à la 5e
Région militaire commandée par Blaise Compaoré de se déporter sur Diébougou
pour sécuriser la frontière. Ce qu’il n’a jamais fait. Compte tenu de la
situation de l’époque, j’avais proposé au Président Thomas Sankara d’arrêter Blaise
Compaoré. Il a catégoriquement refusé en disant que nous ne devons pas trahir
l’amitié. Je lui ai dit que s’il mourrait, la Révolution allait mourir en même
temps ; lui était convaincu que la Révolution n’allait pas mourir. On a
tellement discuté; en définitive, je lui ai dit qu’il soit d’accord ou pas,
j’allais arrêter Blaise Compaoré. C’est là qu’il me dit qu’il s’oppose
catégoriquement parce que les gens ne nous comprendront pas et que si
j’insistais à toucher à un poil de Blaise, nous n’allons plus nous parler
jusqu’à la fin de nos jours. Ça, c’était à Koudougou, dans mon salon». Et ce
n’est pas tout : «J’en ai discuté encore avec Thomas à Ouagadougou, au Palais,
lorsqu’on avait toutes les informations claires qu’il allait être tué par
Blaise. Nous avons discuté de 19 heures à 23 heures. Il n’était toujours pas
d’accord. Les esprits ont fini par s’échauffer. Il a fini par me dire de
laisser Blaise nous tuer et les gens vont parler demain de ce que nous avons fait.
Je n’étais pas prêt pour qu’on tue Blaise, je voulais simplement qu’on l’arrête
pour résoudre le problème. J’ai dit à Sankara qu’il était déjà un esclave et
qu’on n’accompagne pas un esclave. S’il voulait mourir, il n’a qu’à mourir
seul. On s’est séparé. Entre temps, il m’a appelé pour me dire que je parle de « mourir,
mourir » et que c’est moi qui vais mourir avant lui en faisant allusion au
plan A de Blaise Compaoré». Salifou Diallo, avant son décès, avait lui aussi
livré son témoignage. Voici un extrait : «Le 6 ou le 7 octobre, Blaise a
tenu une réunion avec Zèba Dasmané du CENATRIN, Kaboré Casimir de l’Armée de
l’Air et un homme blanc que je ne connaissais pas. Ils sont arrivés vers 11
heures ; je suis descendu les laisser et lorsque je suis revenu au bureau
à 15 heures, j’ai trouvé qu’ils venaient de finir. Après le 15 octobre, un
matin, on m’annonce la mort de Zèba, puis plus tard, de Casimir ; des
morts brutales. Ce qui m’a amené à me poser des questions sur la thèse du complot
de Thomas Sankara, notamment s’il y avait vraiment complot et s’il n’y avait
pas de lien entre cette réunion et la mort de Thomas Sankara».
Par Hervé
D’AFRICK