Assassinat de Thomas Sankara : Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 5

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Assassinat de Thomas Sankara : Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 5

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La scène était triste, très triste. Sankara et douze de ses compagnons venaient d’être abattus (Voir Acte 4 dans CC N° 225 du 5 février). Hyacinthe Kafando, le chef du commando, appelle aussitôt Blaise Compaoré et lui rend compte. Le Lieutenant Gilbert Diendéré arrive ensuite, en compagnie d’autres militaires, sur la scène du crime. «Nous sommes allés voir les corps ensemble. Ensuite, eux se sont dirigés vers la salle de réunion qui se trouvait au milieu du bâtiment central (…). Moi, j’ai continué à la permanence qui était logée à la villa Togo», affirme Diendéré. La suite se fera au pas de course. Témoignages exclusifs.

 

«Ce n’est pas moi qui ai comptabilisé les corps. C’est dans la soirée que celui qui a été commis à la tâche, l’ancien régisseur de la MACO, Tapsoba Karim, (…) a fait le point des treize corps, de même que leurs identités», affirme Diendéré. Mais très vite, il déclare avoir rendu compte à son chef, Blaise Compaoré. Et que ce dernier, après s’être personnellement rendu sur la scène du crime, a donné l’ordre d’enlever les corps et de procéder à leur enterrement. «Le Chef Karim est venu avec des prisonniers ramasser les corps», confie un témoin. Sankara et les douze autres ont ainsi été enterrés, nuitamment, dans des fosses creusées à la hâte, au cimetière de Dagnoën. A l’insu de leurs familles, sans constat d’ordre médical, ni judiciaire non plus. Selon le rapport d’expertise balistique, «le Président Sankara a été atteint, de manière criminelle, de plusieurs projectiles d’origine balistique dans la région thoracique (…) La tombe (du Président) est sommaire, peu profonde (environ 47 cm)». Le corps le plus enfoui, celui de Paténéma Soré, est à seulement 58 cm du sol.  Un autre corps, celui de Christophe Saba, est dans la tombe la moins profonde (environ 25 cm). Et à propos du type d’armes utilisé, voici ce que dit, en substance, le rapport d’expertise: «Sept projectiles ou éléments projectiles, tirés par des armes à feu, ont été retrouvés. Ils proviennent de deux types de munitions de calibre 7, 62 mm (7, 62 Kalachnikov ou 7, 52 OTAN) et 9 mm (9 mm parabellum). Les armes susceptibles de tirer ces types de munitions, indique le rapport, sont les fusils d’assaut Kalachnikov pour les munitions 7, 62 mm kalachnikov et HK G3 pour les munitions de calibre 7, 62 OTAN, les pistolets semi-automatiques (PA) et les pistolets mitrailleurs de calibre 9 mm pour les munitions 9 mm parabellum (…)» Et ce n’est pas tout : « Des orifices d’entrée (entrée et sortie) causés par des projectiles d’armes à feu ont pu être déterminés chez la plupart des victimes».


Mais il n’y a pas que Président et ses douze compagnons qui ont été tués. Plusieurs actions, visiblement coordonnées et exécutées presqu’au même moment, visaient à neutraliser certains éléments favorables à Sankara. Et éviter ainsi tout renfort de ses hommes susceptible d’entraver l’élan du coup d’Etat.  Le chef de corps de l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR), Michel Koama, a ainsi été tué le même jour. Un militaire, proche de l’intéressé au moment des faits, témoigne : «J’ai quitté le terrain pour rejoindre le magasin d’armes. En partant, j’ai vu le Lieutenant Somé Gaspard en tenue militaire, portant son arme colt 35 blanc avec barillet à la ceinture, sur une grosse moto Ténéré, arrêté au poste de garde du Poste de Commandement (PC) avec les hommes de garde, dont je ne me souviens plus des noms. Quand je passais, le Lieutenant Gaspard m’a intercepté entre le magasin d’armes et le terrain et  m’a demandé où je partais. Je lui ai répondu que je partais au magasin d’armes, et que des CDR auraient dit au chef de corps que ça tirait du côté du Conseil de l’Entente. Il m’a instruit d’aller l’attendre au magasin. Il était environ 16 heures. Les militaires du corps sont venus récupérer l’armement individuel (des kalachnikovs), et sont restés sur place, mais le chef de corps Koama Michel qui est rentré chez lui pour s’habiller en tenue militaire et nous rejoindre n’est pas venu. On attend, il ne vient pas. On pensait qu’il était parti au Conseil. Personne ne nous donnait des instructions, on attendait sur place. Aux environs de 19 heures, le délégué à la sécurité, le regretté Maïga Mamadou, qui partait et qui venait, nous a dit que le Président Sankara est mort et que le chef de Corps, Koama Michel, aussi est mort». Et tout porte à croire que les putschistes n’étaient pas en odeur de sainteté avec l’ETIR, basé à Kamboinsé : «Selon ce qu’on a appris à l’époque, le complot de 20 heures devrait venir de là-bas; ce serait eux qui devraient mener l’action principale», affirme Gilbert Diendéré. Et voici à ce sujet, le témoignage d’un militaire qui aparticipé à l’une des patrouilles: « Des transmissions, dit-il, je suis revenu au Conseil pour prendre ma moto. C’est en ce moment que j’ai vu le Lieutenant Diendéré qui m’a appelé et m’a confié la mission de sortir avec son chauffeur du nom de Tondé Ninda Pascal dit Manga Naba, faire le tour des Corps pour leur  dire d’être en alerte. Nous avons fait le tour, la gendarmerie, le camp Guillaume Ouédraogo, le Génie militaire, le Groupement Blindé. Je voulais qu’on aille à l’ETIR mais Ninda Pascal m’a dit de ne pas aller là-bas. Nous sommes repartis demander au Lieutenant Diendéré qui a dit qu’on a eu la chance, que l’ETIR n’était pas prévu, qu’il ne  fallait pas effectivement aller là-bas. Après ça, j’ai été libéré et j’ai rejoint les transmissions».


D’autres personnes, jugées proches de Sankara, ont été abattues le même jour. Et les jours qui ont suivis.

 

Le soir du 15-Octobre, Blaise Compaoré envoie des militaires à la Radio nationale. Et il décide de faire tomber le masque, à travers une déclaration lue par l’un de ses partisans. Gabriel Tamini, qui a longtemps été son conseiller, livre ici un morceau de la folle journée du 15 octobre 1987. Il avait visiblement une dent contre Sankara. Et il le dit : «J’ai été suspendu en Conseil des ministres de mes fonctions à la Radio nationale depuis la deuxième quinzaine du mois de septembre 1987. Je me demandais ce qui allait se passer». Et le 15-Octobre arriva : «J’étais en train de repasser mes habits que j’ai laissés et je suis sorti. Un véhicule est arrivé à toute allure avec, à son bord, Salif Diallo conduit par un chauffeur. C’est à partir de là que j’ai commencé à être rassuré. C’était pratiquement mon binôme. S’il était vivant, j’étais donc sauvé. C’est lui qui m’a annoncé dans le véhicule que le Président Sankara était mort, qu’il tenait l’information de Blaise Compaoré à qui Hyacinthe Kafando a téléphoné pour annoncer la mort de Thomas Sankara et en lui disant de prendre ses responsabilités. Il m’a précisé que lorsqu’il y a eu les coups de feu, il était chez Blaise Compaoré qui était malade et qu’ils se sont même planqués au sol jusqu’à ce qu’il y ait  le coup de fil de Hyacinthe Kanfando. En outre, que Blaise Compaoré lui a dit qu’il était maintenant nécessaire de s’organiser pour assurer la survie de l’Etat. On a manqué Etienne Traoré à son domicile. Il était mon mentor politique, idéologique au sein de l’Union communiste burkinabè (UCB), même s’il n’en était pas le premier responsable. Arrivés chez Blaise Compaoré, il y avait des militaires. J’ai reconnu le commandant en chef Boukary Jean Baptiste Lingani et d’autres militaires que je ne connaissais pas. Les gens s’affairaient pour aller à la Radio avec un communiqué. Blaise Compaoré nous a dit, à Salif Diallo et moi, d’accompagner les militaires à la Radio parmi lesquels Oumar Traoré qui a lu le communiqué du Front populaire. Ce qu’on a fait. Il a fallu trouver l’animateur qui avait la clé de la médiathèque pour rechercher la musique militaire. J’ai accompagné les militaires dans le studio. L’équipe technique du jour a fait passer la musique militaire. Je ne me souviens plus quels étaient les membres présents de cette équipe. Le signal a été donné au Lieutenant Omar Traoré qui a lu le communiqué. C’était en ma présence et celle de Salif Diallo. On avait reçu les consignes de rester sur place pour les communiqués qui viendraient. On est resté là-bas pratiquement toute la nuit. Le matin, il y avait déjà les réunions des regroupements des partis politiques. Je suis allé au Conseil participer à une réunion politique demandée par le Président du Front populaire, Blaise Compaoré».


Autre élément clé de cette affaire : les putschistes découvrent, dans le bureau de Sankara, un document des Services de renseignements. Ce document, selon certains témoins bien au courant de l’affaire, portait un message urgent : une grosse menace pesait sur le Président. Les putschistes, qui craignaient que certaines informations les rattrapent, décident d’effacer certaines traces. L’une de leurs cibles, les agents des Services de renseignements. Selon des témoins, ces derniers avaient, entre autres, réalisé des écoutes téléphoniques très compromettantes pour les auteurs du coup d’Etat. Certains agents des Renseignements généraux en parlent: «Dès le lendemain 16 octobre 1987 (…),  Jean-Pierre Palm est venu, accompagné d'un Blanc qui serait un technicien, plus un autre qui serait un Capitaine français dénommé Baril. L’un des deux a suggéré à Jean Pierre Palm d'arrêter Douamba Kouliga Boukari, le chef de service de la technique opérationnelle car il était très dangereux. Comment ? Pourquoi ? On n'en sait rien (…) Il a été arrêté, puis conduit pour être enfermé à la salle C. Ils ont inspecté la table d'écoute qui se trouvait au rez-de-chaussée du Commandement de la gendarmerie. (…) Notre chef de service, Kaboré Tibo Georges, aurait, par la suite, déploré qu’on amène ces Français découvrir notre service et nos installations qui avaient été équipés par des Soviétiques et le personnel formé par les Russes, les Algériens et les Cubains».


Cette information est confirmée par un autre agent des Services de renseignements de la Gendarmerie : «Notre chef le Lieutenant Tibo passait nous encourager jusqu’au jour où le Capitaine Jean-Pierre Palm est venu dans notre bureau avec des Blancs, probablement des Français. L’un d'entre eux a dit au Capitaine Jean-Pierre Palm de m'arrêter (…)». Et selon un autre agent, présent sur les lieux ce jour-là, l’ordre a été donné de tout détruire: «Nous avons pris les archives d'écoute concernant Blaise Compaoré et Jean-Pierre Palm que nous nous sommes partagés et avons procédé à leur destruction. Palm en personne est venu dans notre service, accompagné de Français (…) à la recherche des preuves qu'il était sous écoute. Il a  récupéré toutes les bandes d'enregistrement et toutes nos archives, y compris une table d’écoute (…) La table elle-même a été désactivée puisqu'elle ne pouvait pas être emportée, elle était bien fixée et scellée. Notre chef de service (…) a été par la suite mis aux arrêts et gardé à la salle C par Jean-Pierre Palm (…) Il nous en voulait tellement qu'il nous a rencontrés pour nous mettre en garde contre le nouveau régime».


Palm lui-même confirme la présence de militaire de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE française) à Ouagadougou, le lendemain du coup d’Etat: «C’est une mission française qui était là et qui demandait à faire le point des matériels des forces armées. Ils étaient à la Gendarmerie et dans d’autres corps je pense. C’est la Présidence qui les a envoyés. A la gendarmerie, ils sont venus me rencontrer. Ils se sont intéressés aux transmissions. Il y avait un service en bas du bâtiment du commandement. Je ne sais plus lequel. Il y avait aussi le standard et d’autres services. On a visité le bas et on est allé à l’intérieur du camp Paspanga où se trouvaient les transmissions (…) Je n’ai plus souvenance s’ils ont pris ou emporté quelque chose. Par la suite, on a envoyé Batako Jean-Paul en stage au niveau de la DGSE». Mais il y a une grosse interrogation : comment des militaires de la DGSE française se sont-ils trouvés là, alors que les évènements du 15-Octobre étaient encore en ébullition, en train de tremper leur «babines» dans les affaires secrètes du Burkina ? Il y a visiblement une forte odeur de complicité entre les autorités françaises et les putschistes.

 

Et même à propos du supposé complot de 20h, brandi par Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré pour tenter de justifier l’assassinat de Sankara à 16h, des langues se délient. Et mettent à nue la face hideuse de cette affaire. «Je partais travailler à l'infirmerie là-bas et quand je partais, je rendais une visite de courtoisie à Jean-Pierre Palm. Et quand il a su que j'étais le petit frère de Fidèle Toé, un jour, il m'a confié que leur coup du 15 octobre 1987 a échoué parce qu'ils n'avaient pas eu fidèle Toé mon frère. C'est lui qui devait confirmer le complot de 20h contre Blaise Compaoré, justifiant leur action. Il m'a dit qu'ils devaient avoir Fidèle pour confirmer le complot de 20h. Lorsqu’ils ont su qu’il ne faisait pas partie des 12 personnes tuées avec le Président Sankara, ils l'auraient recherché, en vain». Et Fidèle Toé d’ajouter ceci : «Après 7 ans d'exil, j'ai pu revenir au pays où j’ai pu revoir certaines personnes. Je cite particulièrement le Colonel Jean-Pierre Palm de la Gendarmerie à qui j’ai rendu visite au mois d’août 1994. Il m’a révélé que j'avais bien fait de quitter ce pays parce que eux, ils devaient me prendre et m'amener à me confesser, à dire que le Président Sankara s'apprêtait à les éliminer, Blaise Compaoré et eux, les éléments de Blaise Compaoré.  Et c'est pourquoi ils ont pris les devants. Il m'a dit qu’immanquablement, je devrais parler dans ce sens et porter plus tard une lourde responsabilité de ce mensonge, que mieux aurait valu pour moi de mourir après». Et il y avait un témoin ce jour-là. Lui aussi confirme le «gros mensonge» orchestré pour justifier le coup d’Etat : «Palm était mon chef», dit-il avant d’entrer dans le vif du sujet : «C’est moi qui ai amené Fidèle Toé chez Jean-Pierre Palm. Et c'est juste ce que fidèle a dit.  Jean-Pierre Palm a effectivement dit qu’ils devaient l'amener à confesser que le Président Sankara s'apprêtait à les éliminer et eux, ils ont pris les devants. Palm lui a dit ça. Il a même ajouté que c'est Fidèle Toé qui leur manquait. C'est comme ça que ça s’est passé».


Mais cette affaire n’a pas encore livré tous ses secrets. Un militaire, dont nous avons pu accéder au témoignage, explique qu’il y avait bel et bien complot : «J’étais membre du comité exécutif du Conseil National de la Révolution (CNR). Tamini est venu me contacter de la part de Blaise Compaoré pour m’inviter à participer à un coup d’Etat(…) Je lui ai dit que j’avais participé au coup d’Etat du Conseil du Salut du Peuple (CSP) et au coup d’Etat du CNR et que je n’étais plus prêt à participer à un coup d’Etat. Je lui ai aussi dit que j’étais prêt à démissionner de l’Armée, à quitter le pays s’il le faut».

Par Hervé D’AFRICK



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