«Ils
sont descendus du véhicule et ils ont commencé à tirer (…) On a tiré sur les
gens en désordre. Je crois que c'est Wallilaye qui a été touché le premier.
Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba et Sawadogo Idrissa ont tourné
derrière, vers là où il y avait le véhicule de sécurité de Sankara. Je ne sais
pas ce qui s'est passé là-bas. (…) Le Président Sankara et Frédéric Kiemdé se
sont suivis pour sortir voir. Sankara était devant, les mains en l'air. Il
n'avait pas d'arme dans sa main. Il a croisé Hyacinthe, Nabié et Maïga qui ont
tiré. Je ne sais pas qui a touché le président Sankara le premier. Il s'est
affaissé sur les genoux avant de tomber sur son côté gauche. Frédéric est tombé
à côté de lui». C’est un témoin clé de cette affaire qui parle. Le 15 octobre
1987, aux environs de 16h, il était au volant de l’un des deux véhicules qui
ont conduit les assaillants du domicile de Blaise Compaoré au Conseil de
l’Entente.
«Quand nous avons quitté le domicile de
Blaise Compaoré, nous sommes passés devant l'Assemblée nationale. Nous avons
rejoint les deux voies goudronnées en face de l’Assemblée nationale. Nous avons
ensuite tourné à droite et sommes passés devant la Présidence. Nous avons
continué tout droit et juste avant de croiser la route de l'hôpital devant
l'ancien INERA, nous avons tourné à droite, en allant vers l'hôpital jusqu'à la
route qui passe devant le Conseil de l'Entente. Nous avons encore tourné à
droite et sommes rentrés au Conseil par la grande voie». Sankara était avec
d’autres personnes dans la salle de réunion. «Certains hommes de sécurité dont
Ouédraogo Walillaye était dehors devant le bâtiment. D’autres étaient derrière
le bâtiment avec le véhicule de sécurité qui suit (d’habitude) le Président. Je
crois que Gouem Abdoulaye était là-bas. Nous avons fait le tour du grand
bâtiment du Conseil de l'Entente en le laissant à droite. Le chauffeur de
Sankara, Somda Der, était à l'ombre de ce bâtiment dans le véhicule du Président.
Certains hommes de sécurité étaient arrêtés à côté du véhicule dont Traoré Bossobè.
Nous les avons dépassés et sommes allés nous arrêter là où Blaise Compaoré
dormait (son pied-à-terre)».
Et voici la scène du crime qui prend de plus
en plus forme : «Les gens sont descendus du véhicule», affirme le
conducteur. «Je voyais le capitaine Diendéré Gilbert arrêté devant ses hommes
assis sur des bancs en train de leur parler. Ils étaient sous des hangars. (…)
Pendant que je manoeuvrais pour aller garer le véhicule, les Hyacinthe Kafando
sont descendus. Et Hyacinthe a dit «On part !». Tous ceux qui ont quitté le
domicile de Blaise Compaoré et qui étaient dans les deux véhicules ont encore
embarqué. Nous avons fait le chemin inverse comme pour ressortir en laissant le
grand bâtiment à gauche. (…)». Et voici les évènements qui s’accélèrent :
«Au moment de passer devant le bâtiment où le Président Sankara était en
réunion, juste après le mât du drapeau à notre droite, Maïga a virgulé avec son
véhicule et est allé s'arrêter après le couloir du Secrétariat. Je voulais le
suivre et m’arrêter derrière lui. Hyacinthe
Kafando m’a demandé «Tu pars où ?». En même temps, il a tiré sur le volant
et on est allé cogner la porte du couloir du Secrétariat. Les
gens sont descendus et ont commencé à tirer. Je suis descendu et je cherchais à
prendre mon arme. Quelqu'un d'autre l'avait pris. On a tiré sur les gens en
désordre. Je crois que c'est Wallilaye qui a été touché le premier. Ouédraogo
Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba et Sawadogo Idrissa ont tourné derrière, vers
là où il y avait le véhicule de sécurité de Sankara. Je ne sais pas ce qui
s'est passé là-bas. Les Somda Der et d’autres dont je ne me rappelle pas, ont
réagi en tirant et les Arzouma Otis leur ont tiré dessus. Le Président Sankara
et Frédéric Kiemdé se sont suivis pour sortir voir. Sankara était devant, les
mains en l'air. Il n'avait pas d'arme dans sa main. Il a croisé Hyacinthe,
Nabié et Maïga qui ont tiré. Je ne sais pas qui a touché le président Sankara le
premier. Il s'est affaissé sur les genoux avant de tomber sur son côté gauche. Frédéric
est tombé à côté de lui dehors, devant la porte du Secrétariat (…). Sankara
était habillé en survêtement rouge avec du noir. Il y avait du blanc aussi. Le
pantalon de Frédéric était noir, avec une chemise. Hyacinthe, Nabié et Maïga
sont rentrés dans la salle de réunion. Je ne sais pas ce qui s'est passé dedans.
Mais il y avait des coups de feu. Les autres qui sont descendus ont tourné
derrière le bâtiment et là-bas, ça tirait aussi (…)».
L’un des militaires, présent sur les lieux ce
jour-là, témoigne : «J’ai vu Hyacinthe Kafando qui courait du côté ouest
pour venir ; j’ai fui aller me coucher côté Est du bureau où j’ai trouvé
l’un des chauffeurs civils du Président du nom de Gouem Abdoulaye. Il était
couché, blessé. Deux gardes du corps de
Blaise Compaoré se trouvaient du côté nord. On dirait qu'ils surveillaient le
mur. (…) Pendant que nous étions à plat ventre, on a traîné Gouem Abdoulaye les
jambes brisées venir coucher à côté de nous. J’ai levé la tête vers le mur de
clôture d'en face qui était à environ 50 mètres et j'ai aperçu un soldat (…) Quand
il m’a vu, il a lâché une rafale dans ma direction. J'ai baissé la tête». A
l’intérieur du bâtiment un petit feu se déclenche : «Des rideaux ont pris
feu et on a éteint», confie le conducteur. «J'ai fait enlever de l'eau avec des
seaux et on a éteint le feu. Il y avait trois ou quatre corps à l'intérieur
quand on éteignait le feu des rideaux provoqué par les balles incendiaires
tirées dans la salle», dit-il. Mais «sincèrement, je ne peux pas vous dire qui
avait des cartouches à balle incendiaire ce jour-là. Quand on a fini, Hyacinthe
a dit qu’on va retourner amener Blaise Compaoré, que eux, ils ont fini leur
travail». La suite, la voici : «On
a rejoint le pied-à-terre de Blaise Compaoré dans le grand bâtiment du Conseil.
Je suis resté là-bas avec Nacoulma Wampasba et Ouédraogo Nabonswendé. Mon
véhicule était gâté et ne pouvait plus bouger. (…) Le radiateur d’eau et
l’huile ont coulé. Maïga Hamidou (l’autre conducteur) est parti avec la 504
chercher Blaise Compaoré à côté de l'Assemblée nationale. Il est allé le
chercher avec Hyacinthe Kafando, Nabié N’Sony, Ouédraogo Otis, Sawadogo
Idrissa. Il a été amené directement à la Radio. C'est le lendemain matin qu’il
est venu au Conseil».
L’un des gardes du corps de Sankara, qui a
suivi de près les évènements, en parle sans détours : «Ce sont les gardes
du corps de Blaise Compaoré qui nous ont attaqués et qui ont tiré sur nous. On
travaillait ensemble. Je les connais presque tous. Il y avait Hyacinthe
Kafando, Ouédraogo Arzouma Otis, Nabié N’soni
dit «quatre roues», Nacoulma Wampasba, Idrissa Sawadogo, Tondé Bangré,
Yerbanga Salam, un jeune du nom de Maïga. On se connaissait tous bien avant le
15-Octobre. Ils étaient armés de fusil kalachnikov. Hyacinthe, leur chef, avait
une arme différente, genre carabine avec lunette de visée plus un pistolet
automatique PA. Je suis ferme et catégorique que tous ces militaires que je
viens de citer faisaient partie de ceux qui nous ont attaqués et tiré sur nous
et le Président Sankara le 15 octobre. Je les connais tous et je les ai vus de
mes propres yeux. C'est Hyacinthe qui était leur chef». L’un des rescapés
du coup d’Etat, Alouna Traoré, est également formel : «C’est la garde
rapprochée de Blaise Compaoré qui a tiré sur nous ». Et voici l’ombre de
Blaise Compaoré qui plane encore sur les évènements du 15-Octobre. Et c’est un
autre militaire, bien au parfum de l’affaire, qui parle: «Avec ce que j'ai vu
le 15 octobre 1987, et ce que j'ai appris par la suite, le commanditaire, c'est
Blaise Compaoré à 100 %. Les exécutants, ce sont les éléments de sa sécurité
rapprochée à 100 %. Pour ce dont je suis
formel, Hyacinthe Kafando, Nabié, Arzouma Otis, Maïga son chauffeur,
Nabonswendé, Nabié N’Soni, Arzouma Otis (…)». Sankara et douze de ses
compagnons ont été froidement abattus ce 15 octobre.
Et tout porte à croire, selon des témoignages
concordants, que dans le dispositif sécuritaire de Sankara, il y avait une
mauvaise graine. L’attitude de l’un des soldats est particulièrement troublant
aux yeux de ses compagnons d’armes. Et ils en parlent : «Il y avait l’un de
mes anciens éléments du nom de Traoré Bossobè. Il était soldat de 1re classe. Il
a déjà fait partie de mon groupe mais on l'avait amené dans un autre groupe,
suite à un remaniement de groupe. Le 15 octobre 1987, je l'ai vu au Conseil; il
était présent mais je ne sais pas à quel titre. (…) C'est après que j'ai appris (…) qu'il aurait
donné l'alerte à l'autre camp quand le Président Sankara est arrivé au Conseil.
Il a reçu une balle malheureusement mais il a été vite évacué en France par le
régime Compaoré», confie un militaire. Et un autre d’ajouter ceci : «Le
jour du coup d’Etat, il a reçu une balle à la main droite (…) Il est passé par
le mur du Conseil de l'Entente pour s’en fuir. Une Blanche l'a pris dans sa
voiture 205 immatriculé «IN» pour le déposer à l'hôpital Yalgado (…) Il a duré
à l'hôpital. La main avait commencé à pourrir (…) Le Président Blaise Compaoré l'a
envoyé en France se soigner pendant plus d'un an. A son retour, quelqu’un m’a
dit qu’il a été dédommagé, qu'il a eu l'argent et qu’il est allé au village
construire une maison et se faire des champs». A écouter un autre militaire, le
nommé Traoré Bossobè semblait bien être au courant de ce qui se tramait :
«J'ai vu Ouédraogo Otis revenir vers la petite porte du Conseil qui donne sur
l'ENAM. Kafando Hyacinthe lui a demandé qui est sorti. Il a dit que c’est
Bossobè. Hyacinthe a demandé s'il ne l'a pas tué. Qu'il est au courant et il vient aujourd'hui
ici». L’intéressé lui-même confirme la
prise en charge de ces blessures par Blaise Compaoré : «Quand mon service,
le CNEC, commandé par Blaise Compaoré avec comme adjoint Gilbert Diendéré a
entendu que j'étais hospitalisé, le service est venu me voir. Quand il y avait des ordonnances, le garde-malade,
un certain Zongo, prenait aller leur donner. Les docteurs ont fait leur session;
ils sont venus me dire qu'ils ne pouvaient pas me soigner ici; ils ont demandé
que je sois évacué. Sinon, ils vont m'amputer le bras. Quelques semaines après, j'ai entendu qu'on va
m'envoyer en France. C'est le 26 novembre que j'ai été évacué, après 42 jours à
l'hôpital Yalgado, en France dans un hôpital militaire à Béguin où j'ai passé
onze mois (…)». Mais cela apparait, aux yeux de certains militaires, comme «une
récompense pour service rendu». Car, au même moment, plusieurs personnes,
proches de Sankara, étaient tués, traqués ou activement recherchés.
Mais pas seulement ça. Il y a d’autres faits
troublants. «Dans la nuit du 14 au 15 octobre, la veille du coup d’Etat,
l’ancien Commandant de la Gendarmerie, Jean-Pierre Palm est venu voir Blaise.
Il a duré avant de repartir», témoigne un militaire. Et ce n’est pas tout.
Par
Hervé D’AFRICK