Assassinat de Thomas Sankara : comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 4

actualite

Assassinat de Thomas Sankara : comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 4

  • 300 FCFA

«Ils sont descendus du véhicule et ils ont commencé à tirer (…) On a tiré sur les gens en désordre. Je crois que c'est Wallilaye qui a été touché le premier. Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba et Sawadogo Idrissa ont tourné derrière, vers là où il y avait le véhicule de sécurité de Sankara. Je ne sais pas ce qui s'est passé là-bas. (…) Le Président Sankara et Frédéric Kiemdé se sont suivis pour sortir voir. Sankara était devant, les mains en l'air. Il n'avait pas d'arme dans sa main. Il a croisé Hyacinthe, Nabié et Maïga qui ont tiré. Je ne sais pas qui a touché le président Sankara le premier. Il s'est affaissé sur les genoux avant de tomber sur son côté gauche. Frédéric est tombé à côté de lui». C’est un témoin clé de cette affaire qui parle. Le 15 octobre 1987, aux environs de 16h, il était au volant de l’un des deux véhicules qui ont conduit les assaillants du domicile de Blaise Compaoré au Conseil de l’Entente.

 

«Quand nous avons quitté le domicile de Blaise Compaoré, nous sommes passés devant l'Assemblée nationale. Nous avons rejoint les deux voies goudronnées en face de l’Assemblée nationale. Nous avons ensuite tourné à droite et sommes passés devant la Présidence. Nous avons continué tout droit et juste avant de croiser la route de l'hôpital devant l'ancien INERA, nous avons tourné à droite, en allant vers l'hôpital jusqu'à la route qui passe devant le Conseil de l'Entente. Nous avons encore tourné à droite et sommes rentrés au Conseil par la grande voie». Sankara était avec d’autres personnes dans la salle de réunion. «Certains hommes de sécurité dont Ouédraogo Walillaye était dehors devant le bâtiment. D’autres étaient derrière le bâtiment avec le véhicule de sécurité qui suit (d’habitude) le Président. Je crois que Gouem Abdoulaye était là-bas. Nous avons fait le tour du grand bâtiment du Conseil de l'Entente en le laissant à droite. Le chauffeur de Sankara, Somda Der, était à l'ombre de ce bâtiment dans le véhicule du Président. Certains hommes de sécurité étaient arrêtés à côté du véhicule dont Traoré Bossobè. Nous les avons dépassés et sommes allés nous arrêter là où Blaise Compaoré dormait (son pied-à-terre)».

Et voici la scène du crime qui prend de plus en plus forme : «Les gens sont descendus du véhicule», affirme le conducteur. «Je voyais le capitaine Diendéré Gilbert arrêté devant ses hommes assis sur des bancs en train de leur parler. Ils étaient sous des hangars. (…) Pendant que je manoeuvrais pour aller garer le véhicule, les Hyacinthe Kafando sont descendus. Et Hyacinthe a dit «On part !». Tous ceux qui ont quitté le domicile de Blaise Compaoré et qui étaient dans les deux véhicules ont encore embarqué. Nous avons fait le chemin inverse comme pour ressortir en laissant le grand bâtiment à gauche. (…)». Et voici les évènements qui s’accélèrent : «Au moment de passer devant le bâtiment où le Président Sankara était en réunion, juste après le mât du drapeau à notre droite, Maïga a virgulé avec son véhicule et est allé s'arrêter après le couloir du Secrétariat. Je voulais le suivre et m’arrêter derrière lui.  Hyacinthe Kafando m’a demandé «Tu pars où ?». En même temps, il a tiré sur le volant et on est allé cogner la porte du couloir du Secrétariat. Les gens sont descendus et ont commencé à tirer. Je suis descendu et je cherchais à prendre mon arme. Quelqu'un d'autre l'avait pris. On a tiré sur les gens en désordre. Je crois que c'est Wallilaye qui a été touché le premier. Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba et Sawadogo Idrissa ont tourné derrière, vers là où il y avait le véhicule de sécurité de Sankara. Je ne sais pas ce qui s'est passé là-bas. Les Somda Der et d’autres dont je ne me rappelle pas, ont réagi en tirant et les Arzouma Otis leur ont tiré dessus. Le Président Sankara et Frédéric Kiemdé se sont suivis pour sortir voir. Sankara était devant, les mains en l'air. Il n'avait pas d'arme dans sa main. Il a croisé Hyacinthe, Nabié et Maïga qui ont tiré. Je ne sais pas qui a touché le président Sankara le premier. Il s'est affaissé sur les genoux avant de tomber sur son côté gauche. Frédéric est tombé à côté de lui dehors, devant la porte du Secrétariat (…). Sankara était habillé en survêtement rouge avec du noir. Il y avait du blanc aussi. Le pantalon de Frédéric était noir, avec une chemise. Hyacinthe, Nabié et Maïga sont rentrés dans la salle de réunion. Je ne sais pas ce qui s'est passé dedans. Mais il y avait des coups de feu. Les autres qui sont descendus ont tourné derrière le bâtiment et là-bas, ça tirait aussi (…)».

L’un des militaires, présent sur les lieux ce jour-là, témoigne : «J’ai vu Hyacinthe Kafando qui courait du côté ouest pour venir ; j’ai fui aller me coucher côté Est du bureau où j’ai trouvé l’un des chauffeurs civils du Président du nom de Gouem Abdoulaye. Il était couché, blessé.   Deux gardes du corps de Blaise Compaoré se trouvaient du côté nord. On dirait qu'ils surveillaient le mur. (…) Pendant que nous étions à plat ventre, on a traîné Gouem Abdoulaye les jambes brisées venir coucher à côté de nous. J’ai levé la tête vers le mur de clôture d'en face qui était à environ 50 mètres et j'ai aperçu un soldat (…) Quand il m’a vu, il a lâché une rafale dans ma direction. J'ai baissé la tête». A l’intérieur du bâtiment un petit feu se déclenche : «Des rideaux ont pris feu et on a éteint», confie le conducteur. «J'ai fait enlever de l'eau avec des seaux et on a éteint le feu. Il y avait trois ou quatre corps à l'intérieur quand on éteignait le feu des rideaux provoqué par les balles incendiaires tirées dans la salle», dit-il. Mais «sincèrement, je ne peux pas vous dire qui avait des cartouches à balle incendiaire ce jour-là. Quand on a fini, Hyacinthe a dit qu’on va retourner amener Blaise Compaoré, que eux, ils ont fini leur travail».  La suite, la voici : «On a rejoint le pied-à-terre de Blaise Compaoré dans le grand bâtiment du Conseil. Je suis resté là-bas avec Nacoulma Wampasba et Ouédraogo Nabonswendé. Mon véhicule était gâté et ne pouvait plus bouger. (…) Le radiateur d’eau et l’huile ont coulé. Maïga Hamidou (l’autre conducteur) est parti avec la 504 chercher Blaise Compaoré à côté de l'Assemblée nationale. Il est allé le chercher avec Hyacinthe Kafando, Nabié N’Sony, Ouédraogo Otis, Sawadogo Idrissa. Il a été amené directement à la Radio. C'est le lendemain matin qu’il est venu au Conseil».

L’un des gardes du corps de Sankara, qui a suivi de près les évènements, en parle sans détours : «Ce sont les gardes du corps de Blaise Compaoré qui nous ont attaqués et qui ont tiré sur nous. On travaillait ensemble. Je les connais presque tous. Il y avait Hyacinthe Kafando, Ouédraogo Arzouma Otis, Nabié N’soni  dit «quatre roues», Nacoulma Wampasba, Idrissa Sawadogo, Tondé Bangré, Yerbanga Salam, un jeune du nom de Maïga. On se connaissait tous bien avant le 15-Octobre. Ils étaient armés de fusil kalachnikov. Hyacinthe, leur chef, avait une arme différente, genre carabine avec lunette de visée plus un pistolet automatique PA. Je suis ferme et catégorique que tous ces militaires que je viens de citer faisaient partie de ceux qui nous ont attaqués et tiré sur nous et le Président Sankara le 15 octobre. Je les connais tous et je les ai vus de mes propres yeux. C'est Hyacinthe qui était leur chef».  L’un des rescapés du coup d’Etat, Alouna Traoré, est également formel : «C’est la garde rapprochée de Blaise Compaoré qui a tiré sur nous ». Et voici l’ombre de Blaise Compaoré qui plane encore sur les évènements du 15-Octobre. Et c’est un autre militaire, bien au parfum de l’affaire, qui parle: «Avec ce que j'ai vu le 15 octobre 1987, et ce que j'ai appris par la suite, le commanditaire, c'est Blaise Compaoré à 100 %. Les exécutants, ce sont les éléments de sa sécurité rapprochée à 100 %.  Pour ce dont je suis formel, Hyacinthe Kafando, Nabié, Arzouma Otis, Maïga son chauffeur, Nabonswendé, Nabié N’Soni, Arzouma Otis (…)». Sankara et douze de ses compagnons ont été froidement abattus ce 15 octobre.

Et tout porte à croire, selon des témoignages concordants, que dans le dispositif sécuritaire de Sankara, il y avait une mauvaise graine. L’attitude de l’un des soldats est particulièrement troublant aux yeux de ses compagnons d’armes. Et ils en parlent : «Il y avait l’un de mes anciens éléments du nom de Traoré Bossobè. Il était soldat de 1re classe. Il a déjà fait partie de mon groupe mais on l'avait amené dans un autre groupe, suite à un remaniement de groupe. Le 15 octobre 1987, je l'ai vu au Conseil; il était présent mais je ne sais pas à quel titre. (…)  C'est après que j'ai appris (…) qu'il aurait donné l'alerte à l'autre camp quand le Président Sankara est arrivé au Conseil. Il a reçu une balle malheureusement mais il a été vite évacué en France par le régime Compaoré», confie un militaire. Et un autre d’ajouter ceci : «Le jour du coup d’Etat, il a reçu une balle à la main droite (…) Il est passé par le mur du Conseil de l'Entente pour s’en fuir. Une Blanche l'a pris dans sa voiture 205 immatriculé «IN» pour le déposer à l'hôpital Yalgado (…) Il a duré à l'hôpital. La main avait commencé à pourrir (…) Le Président Blaise Compaoré l'a envoyé en France se soigner pendant plus d'un an. A son retour, quelqu’un m’a dit qu’il a été dédommagé, qu'il a eu l'argent et qu’il est allé au village construire une maison et se faire des champs». A écouter un autre militaire, le nommé Traoré Bossobè semblait bien être au courant de ce qui se tramait : «J'ai vu Ouédraogo Otis revenir vers la petite porte du Conseil qui donne sur l'ENAM. Kafando Hyacinthe lui a demandé qui est sorti. Il a dit que c’est Bossobè. Hyacinthe a demandé s'il ne l'a pas tué.  Qu'il est au courant et il vient aujourd'hui ici».  L’intéressé lui-même confirme la prise en charge de ces blessures par Blaise Compaoré : «Quand mon service, le CNEC, commandé par Blaise Compaoré avec comme adjoint Gilbert Diendéré a entendu que j'étais hospitalisé, le service est venu me voir.  Quand il y avait des ordonnances, le garde-malade, un certain Zongo, prenait aller leur donner. Les docteurs ont fait leur session; ils sont venus me dire qu'ils ne pouvaient pas me soigner ici; ils ont demandé que je sois évacué. Sinon, ils vont m'amputer le bras.  Quelques semaines après, j'ai entendu qu'on va m'envoyer en France. C'est le 26 novembre que j'ai été évacué, après 42 jours à l'hôpital Yalgado, en France dans un hôpital militaire à Béguin où j'ai passé onze mois (…)». Mais cela apparait, aux yeux de certains militaires, comme «une récompense pour service rendu». Car, au même moment, plusieurs personnes, proches de Sankara, étaient tués, traqués ou activement recherchés.

Mais pas seulement ça. Il y a d’autres faits troublants. «Dans la nuit du 14 au 15 octobre, la veille du coup d’Etat, l’ancien Commandant de la Gendarmerie, Jean-Pierre Palm est venu voir Blaise. Il a duré avant de repartir», témoigne un militaire. Et ce n’est pas tout.

Par Hervé D’AFRICK



Publicité