Assassinat de Thomas Sankara : Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 3

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Assassinat de Thomas Sankara : Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 3

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Côte d’Ivoire, France, Liberia... Certaines «grosses têtes» du complot étaient tapies à l’extérieur du Burkina. Plusieurs témoins sortent enfin de l’ombre. L’un des conseillers politiques du ministre français de la Coopération d’alors, Robert Bourgi, vide son sac : «De par mes fonctions, j’étais appelé à fréquenter, de manière assidue, Monsieur Jacques Foccart, le «Monsieur Afrique» de Jacques Chirac. Il me savait très proche du président Sankara et très intéressé par la nouvelle politique prônée par ce dernier. Un jour, il m’a dit «Robert, Il serait bon que vous alliez à Ouaga afin de mettre en garde le président Sankara dont vous êtes l’ami. D’après ce que je sais, il pourrait lui arriver des désagréments». Le voici donc qui saute dans l’avion, en route pour Ouaga. Il n’est pas le seul à faire des révélations. L’un des journalistes français, qui s’intéressait à la situation au Burkina, affirme avoir été embarqué dans une «sale aventure» par Guy Penne, un autre « Monsieur Afrique » de François Mitterrand. Les différents témoignages pointent du doigt la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française. Des «choses assez étranges» se sont également passées entre le Burkina, la Côte d’Ivoire et le Liberia.

 

Il était bien dans le réseau de la françafrique. Et il sait bien de quoi il parle. Au moment des faits, il était Conseiller politique du ministre français de la Coopération. Robert Bourgi donne un coup de pied dans la fourmilière : «L'assassinat du Président Thomas Sankara et d'autres responsables burkinabè doit avoir été bien préparé. L'assassin doit avoir été conseillé et soutenu.  Ça ne peut pas être un acte isolé (…)». Et il a visiblement des pistes : «J'appelle de mes vœux le procès de Blaise Compaoré», lance-t-il sans détours. Il se souvient de certains faits majeurs qui tendent à corroborer la thèse d’un complot international. «J'étais un ami très proche du Président Sankara. Lorsque j'ai été en 1986 au cabinet du ministre (français) de la Coopération, j'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, de voir le président Sankara à Ouagadougou et de m'entretenir avec lui. Avec le temps, nous sommes devenus très proches. Le président Sankara avait comme conseiller à son cabinet, Ablassé Compaoré qui était mon étudiant de longues années durant à la Faculté de Droit d'Abidjan où j’ai enseigné de 1979 à mars 1986.  Le président Sankara avait une très forte personnalité qui ne répondait absolument pas à la personnalité des autres dirigeants africains. Farouchement nationaliste, il tenait à tout prix à faire respecter son pays qu'il appelait fièrement le «pays des hommes intègres». En tant que Conseiller politique du ministre de la Coopération, j’étais appelé à fréquenter de manière assidue Monsieur Jacques Foccart, le «Monsieur Afrique» de Jacques Chirac, comme il l’a été avec le Général de Gaulle et Monsieur Pompidou. On me sait très proches de Monsieur Foccart. A l'époque de la première cohabitation, Foccart me savait très proche du président Sankara et très intéressé par la nouvelle politique prônée par le président Sankara». Et voici le morceau fatidique qui sort enfin de la bouche de Bourgi : «Ce que je vais vous dire aujourd'hui n’est connu de personne. Monsieur Foccart m’a dit ceci : «Robert, Il serait bon que vous alliez à Ouaga afin de mettre en garde le président Sankara dont vous êtes l’ami. D’après ce que je sais, il pourrait lui arriver des désagréments». Il ne m'en a pas dit plus». La suite ? La voici : «J'appelle aussitôt monsieur Compaoré Ablassé à Ouaga et je lui annonce mon arrivée. Je me rends donc à Ouaga où je suis accueilli par mon ancien étudiant qui me conduit aussitôt auprès du Président Sankara. Après les salutations d'usage, je lui délivre la mise en garde que m'avait faite Monsieur Foccart. Il a été surpris; il m'a dit «Je vais éclaircir tout cela». Je lui ai alors répondu ceci : «Thomas, le message vient de Monsieur Foccart. Il n'a pas pour habitude, comme tu le sais, de dire n'importe quoi. Sois donc prudent». 

 

Mission terminée. L’envoyé du ministre français de la Coopération saute encore dans l’avion. Direction Paris. «J’évoque avec monsieur Foccart, mon voyage, mes entretiens avec le Président Sankara. Les semaines passent et au mois d'octobre 1987, dans le cadre de mes fonctions, j’effectue un déplacement à Dakar». Et là, coup de fil surprise, dit-il. «Un matin, je reçois un coup de fil du Président Sankara qui me dit ceci : «Robert, j'ai vérifié et effectivement j'ai renforcé ma garde». Mais la situation va s’accélérer: «Quelques temps après, le président Sankara était abattu. Grande fut ma peine (…)», affirme Robert Bourgi. «Ce qui est troublant, c'est qu’à la suite de l'assassinat du Président Sankara, d'autres ministres de Sankara avaient été abattus dont mon ami Henry Zongo». Mais Robert Bourgi estime que la main de la DGSE est probablement passée par là : «Si monsieur Foccart avait des informations, c’est qu’il les tirait des (services) de Renseignements. A Matignon, on travaille sur les renseignements de la DGSE». Cette dernière avait d’ailleurs «des éléments au Burkina». C’est le Capitaine Ousséni Compaoré, alors Commandant de la Gendarmerie, qui le dit : «Nous savons que des agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française se sont rendus à la gendarmerie après le 15 octobre et ont travaillé avec les putschistes. Est-ce une indication de leur implication, de leur collusion ? Je le crois». 

Autre témoignage digne d’intérêt. Celui d’un journaliste français qui travaillait pour le Figaro. Il dit avoir été manipulé par les services de renseignement français. Il l’a su, mais c’était tard. L’objectif était visiblement de déstabiliser le Président Sankara. «J'ai le sentiment que l'on m'a utilisé pour assassiner Thomas Sankara». Il l’a dit lors d’une conférence à Dakar, au Sénégal. Les faits se sont produits à un mois du coup d’Etat. En septembre 1987. Il envisageait de faire un reportage sur la Révolution burkinabè. L’information tombe à l’oreille de l’une des têtes pensantes de la diplomatie et du Renseignement français. Son nom ? Guy Penne. Ce dernier contacte le journaliste et l’introduit auprès du patron de la DGSE, l’Amiral Lacoste. On le met ensuite en contact avec le chef d’antenne des opérations africaines. Et là, il reçoit un «colis brûlant et explosif». Un dossier à charge contre le régime de Thomas Sankara. Ils ont voulu que son article mette en vedette de prétendues intimidations, tortures et autres supposées exactions qu’aurait exercé le pouvoir burkinabè sur des populations civiles. Et voici le journaliste qui s’envole pour Ouaga. Mais pendant son séjour, il ne parvient pas à vérifier les informations qui lui ont été fournies à la DGSE. Il recontacte alors Guy Penne pour mieux comprendre. Ce dernier le rassure qu’il s’agit bien d’informations crédibles. Et sans vraiment prendre le temps nécessaire de recouper l’information, il «balance» un brûlot contre le Burkina. Sa seule source, les services secrets français. L’article met fortement en difficulté le Président Sankara au plan international. Une sorte de pain béni aussi pour les putschistes qui affûtaient leurs armes à Ouagadougou. Selon des témoignages concordants, la DGSE était bien en contact avec un représentant de la CIA au Burkina. Les regards sont également tournés vers deux pays voisin du Burkina : la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët-Boigny et le Togo d’Eyadema. «Deux Etats avec lesquels Sankara entretenait des relations exécrables», indique un témoin. Tout porte donc à croire qu’ «ils» se sont coalisés pour mettre Sankara «hors-jeu». Autre indication : «A Korhogo, en 1987, dans le Grand-Nord ivoirien (…), une réunion conspirative composée du N°2 de la Révolution burkinabè, Blaise Compaoré, du Général d'armée ivoirien, Robert Guéi, et du Secrétaire général du parti unique d’alors en Côte d'Ivoire, le PDCI, Laurent Dona Fologo, il est décidé de mettre hors-jeu le Capitaine Sankara avec l'accord de la Cellule africaine de Matignon.  Sankara faisait peur.  Il ne restait donc qu’à donner le feu vert au meilleur ami et bras droit de Sankara, le Capitaine Blaise Compaoré (…)»

 

Il y avait de l’agitation en Côte d’Ivoire. Des tentatives de déstabilisation. Les services de renseignements du Burkina étaient bien au courant. Voici, à ce sujet, les confidences d’un gendarme: «Nous avions infiltré l'opposition burkinabè qui était en Côte d'Ivoire et financé par le président Houphouët-Boigny. (…) Il nous est revenu, de façon formelle et précise, que le président Houphouët-Boigny a dit à cette opposition d'arrêter son plan de déstabilisation parce que Blaise allait se charger d'éliminer Sankara. (…) On en a parlé de vivre voix au président Sankara qui l’a rapporté à Blaise. Un jour, Blaise a demandé à Compaoré Ousséni, Commandant de la Gendarmerie, si c'est lui qui a dit à Sankara qu'il devait le tuer. C'était en 1986 si je ne me trompe pas.  (…) ».

Et puis, il y a cette mission secrète effectuée, en 1987, à Abidjan. Un gendarme burkinabè qui y était en parle  «A peu près un mois avant le 15 octobre 1987, notre chef Kaboré Thibo m'a appelé pour me dire que je serais envoyé en mission secrète à Abidjan. J’ai dis «Pourquoi moi ?». Il a dit que selon les renseignements, j'aurais un parent dans la gendarmerie ivoirienne. Effectivement, j'avais un cousin direct du nom de Ilboudo Eugène qui a pris sa retraite avec le grade de Capitaine dans la gendarmerie ivoirienne au camp d’Akouedo. De par la position de ce dernier, je pourrais avoir des informations intéressant la présidence du Faso. J'ai effectué cette mission avec un certain Ouédraogo Seydou du ministère du Commerce, aujourd'hui particulier travaillant en privé. Si je ne me trompe pas, j'ai reçu 300 000 francs CFA pour cette mission du commandant de la Gendarmerie, Ousséni Compaoré. L'argent a été apporté par Diendéré Gilbert, Lieutenant à l'époque. C'était une mission, nous a-t-on dit, de la plus haute importance.  A la dernière minute, dans l'avion, mon compagnon Seydou m’a dit que c'était pour rencontrer Jonas Savimbi. A Abidjan, nous avons effectivement pu rencontrer Jonas Savimbi avec qui nous avons échangé longuement avec un interprète qui traduisait. Des échanges, il est ressorti clairement que le Président Sankara devait faire attention à Kaboré Boukari dit Le lion parce que, d'après leurs informations, il était susceptible de lui faire un coup d'Etat. J'ai pris note et je suis venu rendre compte. Cette note devrait normalement être retrouvée dans les archives du service de renseignements de la Gendarmerie. Après les événements du 15 octobre 1987, mon chef de service, Kaboré Thibo qui m'appelait grand frère, m'a dit un jour « Grand frère, on nous a menés en bateau. Ta mission a été bien remplie mais on nous a menés en bateau. Il me semble, à la lumière des événements, que nous avons été conduits sur une fausse route avec des acteurs internationaux tels que les Savimbi qui se baladaient librement à Abidjan en Côte d'Ivoire, qui avait des liens avec le président Houphouet. ça me fait penser à un complot international dans l'affaire Thomas Sankara. Kaboré Boukari dit Le Lion s’est révélé être le soutien du Président Sankara. Ce qui est contraire aux éléments (d’information) donnés par Savimbi. La relation de ce dernier avec Blaise Compaoré et son régime, je ne vous fais pas un dessin. Après les événements, Savimbi avait ses entrées à la Présidence et il logeait à l'hôtel Silmandé quand il séjournait à Ouagadougou. Il envoyait même des armes reçues à l'aéroport de Ouagadougou par Diendéré Gilbert». 

 

Sankara était pourtant bien informé de ce qui se tramait. «Le président Thomas Sankara a eu des informations sur ce qui devait se passer. Il était au courant de ce qui se tramait. Il nous a dit qu'il ne veut pas que quelque chose arrive à un seul cheveu de Blaise», affirme Laurent Ilboudo, le chef d’escorte présidentielle le 15 octobre 1987. L’Aide de camp du Président Sankara, Etienne Zongo, avait également livré son témoignage à ce sujet : «La Côte d'Ivoire a scotché Blaise Compaoré. Avant le 15 octobre, le président de la Chambre de Commerce venait chaque semaine avec Air Ivoire rencontrer Blaise Compaoré au salon de l'aéroport et il repartait. Au dernier sommet de la CEDEAO à Abuja en 1987, on ne voulait pas donner la présidence qui revenait au Burkina, à Thomas Sankara. ça fait un bloquage pendant plus d'une heure. J'ai fait un mot à Thomas Sankara pour lui dire de laisser passer. Après, le regretté Norbert Zongo qui était de la délégation, nous a dit que Thomas Sankara devait mourir bientôt, et qu’on ne pouvait donc pas lui donner ce titre de président de la CEDEAO. C'était connu qu’il devait être assassiné. Mais Thomas Sankara ne voulait absolument rien entreprendre contre ses compagnons. Il préférait que ce soit eux qui prennent l'initiative et en assument les conséquences». 

 L’épouse de Blaise Compaoré semblait, à ce sujet, ne pas avoir sa langue dans sa poche. Voici ce qui est écrit dans une note «déclassifiée» des autorités françaises, datée du 5 novembre 1987 : «Renseignement proprement dit: Arrivée à Paris, quelques temps avant le coup d'État, Madame Compaoré a immédiatement répandu, dans les milieux africains, que l'épreuve de force était engagée entre son mari et Thomas Sankara. Selon ses déclarations, l’issue ne pouvait être que fatale, notamment depuis que la maîtresse de Blaise Compaoré avait, par jalousie, informé madame Mariam Sankara que son amant avait entrepris de renverser Thomas Sankara».

Mais il ne s’agissait pas d’éliminer seulement Sankara. Témoignage d’un militaire qui a failli être tué : «Il y avait un plan qui avait été prévu et qui a été exécuté le 15 octobre. Il était prévu l'élimination simultanée de certains Officiers proches de Thomas Sankara ; ce qui éviterait tout renfort éventuel de sa garde. Il m'a été rapporté que le 15 octobre, je devais être éliminé à l'instar de Koama Michel de l’ETIR à Kamboincé. Celui qui devait le faire (…) est venu me chercher au bureau peu avant les tirs ; j'étais à l'intérieur de la caserne pour voir des tapis qu'on avait commandé pour les entrainements du Taekwondo. Il m’aurait rejoint en ces lieux et moi j'étais revenu au bureau. Puis il y a eu les tirs du côté du Conseil. J'ai pris le mur pour rentrer chez moi. Mon intime conviction est que l'action a été menée sur ordre. Je vous ai relaté plus haut que le président Houphouët avait dit qu'il fallait que l'opposition burkinabè en Côte d'Ivoire arrête le projet de déstabilisation de la Révolution parce que Blaise Compaoré se chargerait lui-même de le faire. Ensuite, il y a eu l'interception de la communication dont je vous ai parlé entre Blaise Compaoré et Somé Jonas dans laquelle Jonas disait à Blaise qu'il était temps de passer à l'action. Il y a également les propos tenus à Bobo par Cissé Drissa, commerçant, ami de Jean-Pierre Palm, qui a valu son interpellation et sa garde à vue pour être transféré à Ouagadougou ; l’intervention de Jean-Pierre Palm pour le libérer. On n'avait pas pu le transférer à Ouagadougou pour être interrogé parce qu'il y a eu le 15-Octobre»

Le coup a bien été préparé et exécuté : «Le lundi 12 octobre 1997, Bassobè Traoré (un militaire) est venu à mon maquis «La buvette Colonia» à Kamssonghin», affirme un témoin. «Je lui ai servi de la boisson et de la soupe ; il m'a confié que c'est peut-être la dernière fois que l'on se voit. Je lui ai demandé s’il voyageait et il a dit «non». Il m’a dit de ne pas venir le jeudi au sport de masse parce qu'il y aura un coup d'État (…) Je lui ai demandé pourquoi il ne dit pas à Thomas qu'il y aura un coup d'État et il m'a répondu que Thomas était déjà au courant. Je lui ai demandé qui veut faire le coup d’Etat à Sankara. Il m’a répondu que c’était Blaise»

Par Hervé D’AFRICK



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